Allemagne : RSE et responsabilité des dirigeants
Dans quelle mesure le dirigeant est-il tenu de veiller à ce que l'entreprise respecte les normes RSE et, le cas échéant, quels sont les risques de responsabilité auxquels il s'expose ?
- Responsabilité pour violation de la loi
Parmi les principales obligations, un dirigeant en Allemagne a une "obligation de légalité" (Legalitätspflicht). Il doit donc veiller à ce que l'entreprise soit organisée et surveillée de manière à ce que la loi ne soit pas violée.
Si une violation de la loi survient tout de même à la suite d'une organisation incorrecte ou d'une surveillance insuffisante de la part des dirigeants, ces derniers risquent d'être personnellement et indéfiniment responsables de tous les dommages pécuniaires subis par la société en raison de la violation de leurs obligations. La responsabilité est régie par des dispositions générales, à savoir le § 43 GmbHG (Loi allemande sur les sociétés à responsabilité limitée) pour le gérant de la société à responsabilité limitée allemande (GmbH), le § 93 AktG (loi allemande sur les sociétés par actions) pour le conseil de direction et le § 116 AktG pour le conseil de surveillance d'une société anonyme (AG).
En matière de RSE, en raison de leur obligation de légalité, les dirigeants d'entreprise sont en tout cas responsables lorsqu'ils ne respectent pas des dispositions légales concrètes relatives à la RSE et qu'il en résulte un préjudice. Dans ce domaine, on peut citer les obligations suivantes, qui s'appliquent à ce jour aux sociétés allemandes ou à leurs dirigeants :
- La deuxième loi sur les emplois cadres (FüPoG II), qui est entrée en vigueur le 12 août 2021, vise à assurer plus d'égalité dans l'économie privée et dans le service public. A cet effet, des quotas fixes pour les hommes et les femmes ont été en partie introduits, les obligations de justification en cas de non-respect des objectifs chiffrés ont été renforcées et des obligations de publication étendues ont été définies.
- En vertu de la loi sur le renforcement de l'intégrité des marchés financiers (FISG), qui réforme en profondeur la procédure de contrôle des comptes, les conseils d'administration des sociétés anonymes sont tenus de mettre en place un système de contrôle interne et de gestion des risques approprié et efficace en tenant compte de l'ampleur des activités de l'entreprise et de son niveau de risque. Les facteurs RSE doivent également être pris en compte.
- La loi sur la transposition de la deuxième directive sur les droits des actionnaires (ARUG II) a introduit l'obligation d'orienter la structure de rémunération des sociétés cotées en bourse vers un développement durable et à long terme de la société.
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Enfin, il convient de rappeler l'obligation pour certaines entreprises de mettre en place un système de signalement, pour lequel la loi allemande de transposition de la directive européenne sur les lanceurs d'alerte en est encore au stade du projet de loi (Voir aussi notre article RSE Allemagne : Meilleure protection des lanceurs d'alerte sur le sujet). Néanmoins, une interprétation conforme à la directive par les tribunaux est d'ores et déjà envisageable, par exemple dans le cadre de procédures de licenciement.
- Responsabilité pour agissements contraires aux principes RSE
Dans les domaines où, en revanche, il n'existe pas de dispositions légales en matière de RSE, les dirigeants disposent d'un pouvoir d'appréciation commercial conformément à la Business Judgement Rule codifiée à l'article 93, paragraphe 1, phrase 2 AktG.
Cette règle, qui vaut également pour les GmbH, stipule qu'en présence d'un préjudice, il n'y a pas de manquement aux obligations des membres de direction si ceux-ci, en prenant leur décision entrepreneuriale, pouvaient raisonnablement penser agir dans l'intérêt de la société sur la base d'informations appropriées.
Le risque des dirigeants de voir engager leur responsabilité pour les pertes financières résultant de comportements
- qui favorisent les principes RSE mais sont, à première vue contraires à l’intérêt financier de la société ou
- qui ne sont pas conformes aux principes RSE, mais qui sont néanmoins dans l’intérêt de la société et autorisés par la loi,
sont plus difficiles à appréhender dans le contexte de la Business Judgement Rule et nécessitent donc un examen d'autant plus attentif.
On peut citer à titre d'exemple les mesures liées à la politique RSE qui, bien qu'elles soient financièrement désavantageuses à court terme, ont également un effet positif ou du moins peuvent avoir un effet positif à long terme d'un point de vue économique. Dans le domaine de la RSE, cela concerne tout d'abord la promotion d'objectifs d'intérêt général qui positionnent l'entreprise dans la perception publique comme un "Good Corporate Citizen" et qui servent à améliorer la réputation de la société. Ceci est notamment le cas des dons et des activités de sponsoring. Lorsque la direction estime, sur la base d'informations appropriées, qu'un effet positif peut être attendu à long terme, les mesures correspondantes sont autorisées dans une mesure raisonnable.
Une autre question qui se pose est de savoir comment traiter les cas où l'activité d’une société est en contradiction avec les principes de la RSE, par exemple lorsqu'elle entraîne des émissions élevées de CO2 ou lorsqu'elle emploie des travailleurs à bas salaires. Si un dirigeant introduisait des mesures visant à réduire les émissions de CO2 ou à augmenter les salaires, ces mesures seraient coûteuses et donc en contradiction avec les intérêts financiers de la société. Dans ces cas, bien que le dirigeant d'entreprise doive prendre en compte les objectifs de durabilité dans son appréciation commerciale, le cœur de l'intérêt de la société est d'assurer sa pérennité et sa rentabilité, ce qui signifie que, dans le respect de la loi et des dispositions statutaires, ces intérêts doivent être privilégiés. Ainsi, dans la mesure où la poursuite d'objectifs RSE - non imposés par la loi - met en péril l'existence et la rentabilité de l'entreprise, cette démarche est à déconseiller au gérant en raison du risque de voir engager sa responsabilité.
Les processus d'évaluation et de décision de la direction étant devenus beaucoup plus complexes en raison de la multiplicité des objectifs de durabilité et des attentes des investisseurs et du public, les dirigeants devraient s'intéresser attentivement aux questions de conformité RSE qui concernent leur entreprise. Pour minimiser leur risque de responsabilité ils devraient prendre en compte ces objectifs et facteurs non codifiés dans l'organisation et le contrôle des processus de travail au sein de l'entreprise de manière adéquate, notamment dans le cadre des décisions commerciales discrétionnaires. En outre, la gestion des risques doit être étendue aux risques liés aux facteurs RSE.