Allemagne : Faut-il s’attendre à des changements majeurs en droit du travail avec le nouveau gouvernement ?
En Allemagne, le SPD, les Verts et les libéraux sont parvenus, le 24 novembre 2021, à un accord de coalition baptisé « Oser plus de progrès – alliance pour la liberté, la justice et la durabilité ».
Celui-ci contient de nombreux projets d’action, notamment en droit du travail, dont voici les grandes lignes et qui, pour certains, ont déjà été mis en œuvre :
- Augmentation du salaire minimum et contrat mini-job
- Durée du travail
- Télétravail
- CDD
- Santé et sécurité au travail
- Formation professionnelle des salariés
- Mobilité et prêt de main d’œuvre
- Rôle des partenaires sociaux
- Droit de participation/de cogestion (« Mitbestimmungsrecht »)
- Autres aspects
1 Augmentation du salaire minimum et contrat mini-job
Comme promis par le SPD et les Verts avant les élections, il a été convenu de passer le salaire minimum légal à 12 euros bruts.
Le projet de loi vient d’être adopté le 23 février 2022 et le nouveau salaire minimum légal doit être applicable à compter du 1er octobre 2022.
Pour rappel, le salaire minimum actuel est fixé à 9,82 euros et passera à 10,45 euros au 1er juillet 2022.
En principe, seule la commission sur le salaire minimum est compétente pour décider d’un ajustement du niveau du salaire minimum légal. Cette réforme est donc exceptionnelle.
Il n’est cependant pas exclu que les organisations patronales, ainsi qu’elles l’ont déjà annoncé, en contestent la conformité à la loi constitutionnelle en raison, justement, du fait qu’elle outrepasse la compétence de la commission sur le salaire minimum.
Dans la même lignée, les seuils applicables au contrat mini-job (contrat faiblement rémunéré) doivent également être modifiés, le projet de loi prévoyant un passage à 10 heures de travail par semaine rémunérées au salaire minimum légal de 12 euros, ce qui élève le seuil du mini-job à 520 euros par mois.
Il est par ailleurs prévu de mettre en place des mesures afin de d’éviter un abus du recours au mini-job comme substituts à un contrat de travail ordinaire. Aucune précision n’a cependant été faite à ce sujet.
Enfin, le projet de loi du 23 février 2023 prévoit qu’il sera procédé à un examen des moyens pouvant être mis en œuvre pour vérifier le respecter du salaire minimum légal par le biais d’enregistrements électroniques du temps de travail en précisant qu’il faudra éviter que cela conduise les TPE et PME à devoir investir dans des systèmes d’enregistrement ou d’application numériques de saisie du temps de travail coûteux. Pour ce faire, le développement d’une application numérique mise à disposition à titre gratuit doit être examiné.
2 Durée du travail
Le nouveau gouvernement prône la flexibilité du temps de travail, notamment par le temps de travail reposant sur la confiance (« Vertrauensarbeitszeit »). Il n’a cependant défini aucune action allant dans ce sens.
En outre, le principe de la durée quotidienne de huit heures doit être maintenu, contrairement à ce qui était envisagé initialement. Des exceptions doivent toutefois pouvoir être décidées dans une plus large mesure qu’à l’heure actuelle, mais uniquement par le biais des conventions collectives de branche (« Tarifverträge »), la négociation collective au niveau de l’entreprise ayant été expressément exclue.
Ainsi, des conventions collectives ou accords d'entreprise conclus sur la base de conventions collectives de branche doivent pouvoir prévoir des durées maximales de travail journalières plus longues que la durée de 8 heures.
Le nouveau gouvernement souhaite par ailleurs se pencher sur l’adaptation des règles à la nouvelle jurisprudence européenne concernant l’obligation d’enregistrement du temps de travail incombant à tout employeur.
Il convient en effet de rappeler que le droit allemand, qui ne prévoit aucune obligation de documentation du temps de travail, n’est pas en conformité avec la jurisprudence européenne.
Cependant, un arrêt de la Cour fédérale du travail est attendu sous peu.
3 Télétravail
Le nouveau gouvernement souhaite maintenir le droit au télétravail (« homeoffice ») après la crise sanitaire, qui se distinguerait du travail mobile et du télétravail à l’initiative de l’employeur, et serait soumis à d’autres règles qu’il conviendrait de définir.
Il est par ailleurs prévu que les salariés, dont l’activité peut être exercée en télétravail, disposent d’un « droit à la discussion » pour un passage en télétravail ou en travail mobile.
L’employeur ne pourrait s’opposer au souhait d’un salarié que si le télétravail ou travail mobile allait à l’encontre des intérêts de l’entreprise.
Il faut s’attendre à ce que la jurisprudence se montre très exigeante sur la notion « d’intérêts de l’entreprise » comme elle le fait dans le contexte des demandes de passage à temps partiel si bien que l’employeur n’aura probablement que rarement la possibilité de refuser une demande d’aménagement du poste en télétravail / travail mobile.
4 CDD
Le gouvernement de coalition a renoncé à une modification des conditions de recours au CDD sans motif. Celui-ci reste possible pour une durée maximale de deux ans (incluant trois renouvellements maximum).
S’agissant des CDD avec motifs, il est prévu de limiter leur recours une durée maximale totale de 6 ans chez le même employeur (renouvellement inclus). Des dérogations ne seront possibles que dans de rares exception.
Ce projet est l’une des modifications majeures envisagées par l’accord de coalition, la réglementation actuelle ne prévoyant pas de durée maximale lorsqu’il existe un motif légal de recours au CDD.
5 Santé et sécurité au travail
Le gouvernement souhaite adapter le niveau de protection de la santé et de la sécurité au travail aux nouveaux défis d’un monde du travail en pleine mutation. L'accent doit être mis sur la santé psychique et le renforcement de la gestion de la réinsertion professionnelle (« betriebliches Eingliederungsmanagement ») qui doit être généralisée selon des normes de qualité uniformes. Il est prévu de soutenir les petites et moyennes entreprises dans la prévention et la mise en œuvre de la protection du travail.
Aucune proposition concrète n’a cependant été formulée.
6 Formation professionnelle des salariés
Il est prévu de créer un système s’apparentant au compte personnel de formation dénommé « Lebenschancen-BAföG » pour favoriser l’égalité des chances. Chaque salarié pourrait épargner un crédit de formation sur un compte d'espace libre (« Bildungssparen in einem Freiraumkonto ») à utiliser pour une formation continue choisie par le salarié lui-même.
Il est en outre prévu de mettre en place un temps partiel de formation afin d’améliorer les possibilités de réorientation professionnelle et de formation des salariés. Le recours à un temps partiel de formation serait soumis à un accord entre l’employeur et le salarié.
Enfin, il est prévu de créer une allocation de qualification (« Qualifizierungsgeld ») permettant aux entreprises en « mutation structurelle » de maintenir les salariés dans l’entreprise en leur finançant une formation adéquate. Cette formation serait financée par le biais d’une allocation de qualification accordée par l’agence fédérale pour l’emploi selon les mêmes principes que l'allocation d’activité partielle.
7 Mobilité et prêt de main d’œuvre
En ce qui concerne la mobilité des salariés, le contrat de coalition veut améliorer la protection des salariés en cas de détachement transfrontalier et, en même temps, réduire les obstacles bureaucratiques. Il est prévu de garantir aux salariés saisonniers une couverture d’assurance maladie complète dès le premier jour.
Aucun changement manifeste n’est prévu pour les activités de sous-traitance / prestations de services et le prêt de main d’œuvre, qui sont considérés par la coalition comme des instruments nécessaires au monde du travail actuel. Cependant, les réglementations existantes doivent être appliquées de manière plus efficace afin d’éviter tout abus.
8 Rôle des partenaires sociaux
Le nouveau gouvernement souhaite renforcer le rôle des partenaires sociaux et l’impact des conventions collectives de branche en attribuant les marchés publics uniquement aux entreprises s’engageant à appliquer une convention collective de branche. Une obligation générale d’adhésion à une organisation patronale signataire n’est cependant pas à l’ordre du jour, un simple engagement contractuel d’appliquer la convention collective étant suffisant.
De plus, les dérogations à la loi sur le temps de travail ne seront possibles que si une convention collective les réglemente.
9 Droit de participation/de cogestion (« Mitbestimmungsrecht »)
Le nouveau gouvernement mise sur la numérisation en matière de cogestion au sein de l'entreprise. Le travail numérique des comités d'entreprise et des syndicats doit être développé. Les élections d’entreprise en ligne doivent être testées dans le cadre d’un projet pilote. Il est par ailleurs prévu de créer un droit des syndicats à l’accès numérique aux entreprises,
En outre, une entrave aux élections du comité d’entreprise par l’employeur ou toute autre personne doit à l’avenir être sanctionnée pénalement sans qu’une plainte pénale soit requise.
10 Autres aspects
- Il est prévu d’accélérer la procédure de demande d'autorisation de licenciement d'une personne lourdement handicapée ou assimilée : l’autorisation pourrait être considérée comme acquise en l’absence de réponse de l’administration dans un délai de six semaines suivant la réception de la demande.
- Après la naissance d'un enfant, le ou la partenaire doit également bénéficier d’un congé rémunéré de deux semaines.
- La protection contre le licenciement durant le congé parental doit être prolongée pour une durée de trois mois suivant le retour à l'emploi.
Conclusion :
Du point de vue des employeurs, il convient de saluer l’engagement clair du gouvernement de maintenir la possibilité de recourir au CDD sans motif et de flexibiliser les règles sur la durée du travail. Néanmoins, s’agissant de la durée du travail, l’accord de coalition en dit très peu sur les mesures à prendre pour atteindre cette flexibilité tout en tenant compte des exigences posées par la jurisprudence européenne.
De plus, il est laissé (dans tous les domaines confondus) peu de place à la négociation collective d’entreprise, la plupart des modifications devant être prévues par une convention collective de branche, ce qui sous-entend, généralement pour les entreprises, d’avoir adhéré à une organisation patronale ou de faire une application volontaire la convention de branche, celles-ci n’ayant, pour la plupart, pas été étendues. Il faut donc s’attendre à ce que peu d’entreprises puissent bénéficier des mesures de flexibilisation envisagées.
07.03.2022