Est-il possible de recourir au travail dominical en Allemagne ?
Tout comme en France, le droit du travail allemand garantit aux salariés le repos dominical et le repos les jours fériés. Il s’agit d’un droit fondamental prévu à l’article 140 du Grundgesetz (la loi fondamentale allemande) qui reprend l’article 139 de la Constitution de Weimar.
L’article 9 de la loi sur la durée du travail (Arbeitszeitgesetz) rappelle ainsi l’interdiction de faire travailler les salariés le dimanche et les jours fériés entre 0h et 24h. Cumulé avec le repos minimum journalier de 11 heures, l’employeur doit garantir à ses salariés un repos d’au moins 35 heures consécutives en fin de semaine, la journée de repos devant être accordée le dimanche sans qu’un report soit possible. L’interdiction de travailler le dimanche s’étend à toute activité salariée, y compris les périodes d’astreintes ou les activités de formation. Si des dérogations sont possibles, elles sont étroitement encadrées.
La violation des dispositions légales pouvant entraîner des sanctions pénales sévères pour un employeur (versement d’une amende de l’ordre de 2.500 à 15.000 euros pour une ou plusieurs infractions à l’encontre d’un salarié, voire peine d’emprisonnement d’un an maximum si l’employeur a intentionnellement violé les règles et mis ainsi en danger la santé du salarié, ou en cas de récidive), il est indispensable de s’assurer au préalable qu’un recours au travail du dimanche est autorisé.
- A qui s’applique la règle du repos dominical ?
La règle du repos dominical s’applique à toutes les personnes salariées au sens de la loi sur la durée du travail. Ainsi, les indépendants ou encore les personnes pouvant être considérées comme « employeur » ne bénéficient pas de cette règle. Il en va de même des « leitende Angestellte », qui correspondent à une catégorie de salariés comparable aux cadres dirigeants du droit français. Est « leitender Angestellte » au sens de l’article 5 alinéa 3 de la loi sur la constitution des entreprises (Betriebsverfassungsgesetz), tout salarié qui, en raison de son contrat de travail et de sa position dans la société est :
- autorisé à embaucher ou licencier des salariés dans l’entreprise ou dans un service de l’entreprise, ou bien,
- dispose d’un pouvoir général (Generalvollmacht) ou est fondé de pouvoir (Prokurist) dès lors que les pouvoirs confiés ne sont pas négligeables par rapport à ceux exercés par l’employeur, ou bien,
- assume de manière régulière des fonctions importantes pour l’existence et l’évolution de l’entreprise ou d’une partie de l’entreprise et dont l’exécution nécessite une expérience et des connaissances particulières. Cette condition n’est remplie que si le salarié est habilité à prendre des décisions librement, soit sans instruction, ou s’il influence de manière significative les décisions prises. Cette condition peut aussi être remplie dans une situation où le salarié doit respecter un certain cadre en raison de l’application de règles juridiques, de plans ou directives de l’employeur, ou d’une collaboration nécessaire avec d’autres « leitende Angestellte ».
Lorsque le salarié se trouve dans l’une de ces trois situations, il ne peut pas se prévaloir des règles légales sur la durée du travail et notamment des règles sur le repos dominical.
- Quelles sont les dérogations légales ?
La loi sur la durée du travail prévoit à son article 10 la liste des secteurs dans lesquels il est possible de déroger à l’interdiction de travailler le dimanche. Ces exceptions supposent que le travail ne peut pas être effectué un autre jour, et ce pour des raisons techniques ou sociales. La liste contient, entre autres, les secteurs suivants :
- les services d’urgences et de secours, les services nécessaires pour des questions d’ordre public et pour garantir le fonctionnement des tribunaux, des administrations et de la défense ;
- les hôpitaux et tous services liés aux soins et à l’assistance aux personnes ;
- les services liés à la restauration, aux hôtels, aux théâtres, aux cinémas, aux musées, à la radio, aux bibliothèques, aux établissements de loisir ;
- le travail sur des salons, expositions, marchés conformément à l’article 69 du règlement national sur le commerce et l'industrie (Gewerbeordnung). Il doit s’agir d’événements qui ont lieu de façon régulière comme un marché hebdomadaire, des fêtes populaires ou des grands salons et expositions récurrents, mais temporairement limités. La liste des événements est établie par les autorités compétentes pour l’industrie et le commerce (notamment la chambre des métiers de la ville concernée, Gewerbeamt) ;
- des événements à des fins non commerciales, notamment des événements organisés par l’Eglise, des partis politiques, des associations et des organisations similaires ;
- les activités de la presse, des transports en communs, du secteur de l’énergie et de l’eau.
Si le secteur d’activité de la société relève de l’un des domaines mentionnés à l’article 10, la dérogation est de droit, de sorte que l’employeur n’a pas besoin d’obtenir une dérogation spécifique. C’est l’employeur qui a la responsabilité de déterminer, à ses propres risques, si son activité relève ou non d’une dérogation légale. En cas de doute, il peut solliciter l’avis de l’administration.
- Quelles sont les autres dérogations possibles ?
D’autres dérogations que celles prévues par la loi sont possibles :
- Dérogations prévues dans une convention ou un accord collectif (Tarifvertrag)
Une convention collective ou un accord d’entreprise peut prévoir des dérogations au repos dominical ainsi que ses conséquences en matière de rémunération et de repos hebdomadaire. A titre d’exemple, la convention collective du commerce de détail en Saxe-Anhalt (non étendue et donc uniquement applicable aux employeurs et salariés membres d’une organisation syndicale signataire) prévoit qu’il est possible de travailler le dimanche et que les heures de travail effectuées durant cette période donnent droit à une contrepartie financière de 120 % du salaire horaire.
- Dérogations prévues par voie réglementaire (Rechtsverordnung) du Bund ou du Land
Le Bund peut adopter des règlements élargissant ou limitant les dérogations prévues dans le but de créer une pratique uniforme. A ce jour, il existe deux règlements du Bund dans le secteur de la sidérurgie et de l’industrie du papier. Si le Bund n’est pas intervenu dans un secteur, le règlement peut être adopté au niveau régional par un Land. Ainsi, beaucoup de Länder ont adopté des règlements « Bedürfnis – oder Bedarfsgewerbeordnung » (règlement du commerce et de l’industrie) dans différents secteurs comme celui des fleuristes, des garages, le secteur funéraire ou encore les brasseries.
- Autorisation individuelle de dérogation par l’inspection du travail (Aufsichtsbehörde)
- L’employeur peut obtenir une dérogation exceptionnelle au repos dominical auprès de l’inspection du travail. L’inspection du travail peut autoriser une société ayant une activité commerciale à faire travailler ses salariés certains dimanches de l’année s’il existe des circonstances exceptionnelles nécessitant la poursuite de l’activité commerciale durant ces dimanches. Seuls dix dimanches par an peuvent être concernés par une telle dérogation. Les circonstances exceptionnelles doivent être extérieures à la société (ni une baisse des ventes ni une position concurrentielle désavantageuse ne justifient une dérogation). Il appartient exclusivement à l’inspection du travail de constater que l’interdiction de travailler tel ou tel dimanche est inéquitable et affecte sérieusement la société, et d’accorder, en conséquence, une dérogation pour le ou les dimanche(s) concerné(s). L’employeur ne peut donc pas intervenir dans la fixation des dimanches travaillés. Ainsi lorsque une ou plusieurs entreprise(s) organises(nt) un événement à l’attention des revendeurs professionnels ayant un lien chronologique et concret avec un salon, un marché ou une foire (p.ex. journées portes ouvertes, présentation de modèles, événement consécutif au salon), il est admis que l’inspection du travail octroie une dérogation pour circonstances exceptionnelle.
- L’inspection du travail peut également autoriser un employeur à faire travailler les salariés cinq dimanches par an si l’entreprise risque de subir un dommage disproportionné par rapport à la protection du droit fondamental au repos dominical. L’entreprise doit se trouver dans une situation économique extrême à laquelle elle ne peut répondre que par une dérogation à l’interdiction de travailler le dimanche.
- Enfin, l’inspection du travail peut autoriser le travail un dimanche par an pour dresser l’inventaire de la société.
- L’inspection du travail doit également autoriser le travail du dimanche pour les travaux continus pour des raisons d’ordre chimique, biologique, technique ou physique et, enfin, pour garantir la compétitivité de l’entreprise à l’égard des entreprises étrangères concurrentes si celles-ci bénéficient de règles plus avantageuses dans leur pays, sous réserve que la différence de traitement préjudicie sérieusement l’entreprise et qu’une dérogation au repos dominical soit nécessaire pour garantir la survie des emplois.
- Est-il possible de décaler le jour de prise du repos hebdomadaire en cas de travail par roulement ?
Les entreprises dans lesquelles les équipes travaillent régulièrement par roulement de jour et de nuit peuvent déroger au repos le dimanche ou le jour férié en avançant ou en reportant de 6 heures la période du repos (par exemple, le repos est pris du samedi 18h au dimanche 18h). Il ne doit s’agir en aucun cas d’une réduction du temps de repos hebdomadaire. En cas de manquement à l’obligation d’accorder le repos hebdomadaire, l’employeur peut encourir les sanctions mentionnées ci-dessus. Si l’employeur veut décaler le début ou la fin de la période de repos en cas de travail par roulement, il doit obtenir l’accord préalable du comité d’entreprise (Betriebsrat). En cas de décalage de la période de repos, l’ensemble de l’entreprise doit cesser son activité pendant la période de repos imposée de 24 heures (y compris les machines). Pour les conducteurs routiers, il est également possible d’avancer le début de la période de repos de deux heures.
- Quels sont les aspects importants de la mise en pratique du travail le dimanche ?
- Indépendamment de la question de savoir si une dérogation légale, conventionnelle ou réglementaire est applicable, il est impératif de prévoir dans le contrat de travail que le salarié pourra être amené à travailler le dimanche. En l’absence d’une telle clause, il ne sera pas possible de faire travailler le salarié le dimanche quand bien même la société pourrait bénéficier de l’une des dérogations. - Les durées quotidiennes maximales de travail restent applicables au travail du dimanche.
- Tout salarié a droit à 15 dimanches non travaillés par an même en cas de dérogation. Une réduction de cette garantie n’est possible que dans un petit nombre de secteurs si une convention collective le prévoit.
- Le salarié, qui travaille un dimanche, doit bénéficier d’un jour de repos dans les deux semaines qui suivent le dimanche où il a travaillé. Ce repos doit être accolé au repos journalier, de sorte qu’il lui est garanti un repos total de 35 heures.
- Selon la jurisprudence actuelle de la Cour fédérale allemande, le salarié n’a pas droit à une majoration de salaire pour les heures travaillées le dimanche sauf si la convention collective, un accord d’entreprise ou le contrat de travail le prévoit. Ainsi, sauf clause conventionnelle ou contractuelle contraire, l’employeur peut rémunérer les heures travaillées le dimanche comme des heures ordinaires.
Recommandations pratiques : nous recommandons de veiller à la formulation de la clause contractuelle sur la durée du travail afin de ne pas en exclure (même de manière implicite) le travail du dimanche. Les sanctions d’une violation au repos dominical pouvant être lourdes, il est essentiel de vérifier si l’activité de la société relève d’une dérogation légale, réglementaire ou conventionnelle et, le cas échéant, de faire une demande individuelle de dérogation exceptionnelle auprès de l’inspection du travail compétente si les circonstances s’y prêtent.
09.07.2015