De l’importance de la mise en demeure en Allemagne
Par deux arrêts retentissants de septembre 2019[1], la Cour constitutionnelle fédérale allemande a déclaré contraire la constitution[2] la pratique ancienne des tribunaux allemands, notamment en matière de presse, de concurrence déloyale et de propriété intellectuelle, consistant à rendre des ordonnances de référé sur requête, sans procédure contradictoire (ex parte).
De manière assez surprenante, la Cour a cependant précisé, qu’une ordonnance peut être rendue sur requête, si le défendeur a été mis en demeure par le demandeur. La Cour estime en effet, que dans ce cas, le défendeur a eu la possibilité suffisante de formuler son point de vue en réponse à la mise en demeure, si bien qu’une ordonnance peut ensuite être rendue ex parte sans violation du principe du contradictoire.
Par un nouvel arrêt du 27 juillet 2020[3] la Cour constitutionnelle fédérale a précisé, que ceci suppose que la mise en demeure et la demande de référé soient formulées de manière identiques en ce qui concerne l’objet de la demande et l’argumentation juridique (« wortlautgleiche Identität »)[4]. Si, au contraire, le juge des référés constate des différences entre la mise en demeure et la demande de référé, il devra opter pour une procédure contradictoire. Il devra alors signifier la demande au défendeur et, fixer une audience de plaidoiries et/ou donner au défendeur la possibilité de déposer des conclusions en réponse.
Les conséquences pratiques ce cette jurisprudence sont considérables : D’une part, elle impose au demandeur de consacrer une attention et un soin particuliers à la rédaction de sa mise en demeure. Toute erreur à ce stade risque d’avoir pour conséquence le refus d’une ordonnance sur requête, ce qui signifie que l’interdiction des agissements critiqués interviendra beaucoup plus tard, et au terme d’une procédure plus longue et plus coûteuse. D’autre part, elle impose au défendeur de répondre rapidement et manière très complète à l’argumentation développée par le demandeur dans sa mise en demeure. En effet, c’est au regard de cette réponse détaillée que le tribunal décidera s’il accepte de rendre une ordonnance sur requête ou au terme d’une procédure contradictoire.
[1] BVerfG, Beschl. v. 30.9.2018 – 1 BvR 1783/17, GRUR 2018, 1288 et BVerfG, Beschl. v. 30.9.2018 – 1 BvR 2421/17, GRUR 2018, 1291
[2] Principe de l’égalité des armes, article 3 I ensemble l'article 20 III de la constitution allemande
[3] BVerfG, Beschl. v. 27.7.2020 – 1 BvR 1379/20, GRUR 2020, 1119
[4] Cette jurisprudence est cependant critiquée par la doctrine qui estime qu’il devrait suffire que le contenu de la mise en demeure et la requête soient substantiellement identiques, comp. Bornkamm, Abmahnung und rechtliches Gehör im anschließenden Verfügungsverfahren, GRUR 2020, 1163 ; Dissmann, Totgesagte leben länger – wie es mit der Beschlussverfügung weitergehen kann, GRUR 2020, 1152
24.11.2020