La négociation loyale d’une rupture conventionnelle en Allemagne
L’employeur qui soumet la résiliation du contrat de travail allemand (Aufhebungsvertrag) à l’accord de son employé a une obligation de négocier loyalement et un devoir d’information sur les conséquences négatives de cette résiliation. Il peut être tenu, dans certaines circonstances particulières, d’accorder un délai de réflexion à l’employé, comme l’a récemment tranché le Conseil des Prud’hommes de Heilbronn en Allemagne (ArbG Heilbronn, jugement du 18.05.2022 – 2 Ca 60/22).
Le litige en l’espèce portait sur la validité d’un accord de rupture conventionnelle d’un contrat de travail, dans laquelle l’employé faisait l’objet d’un quotient intellectuel largement en dessous de la moyenne. Celui-ci allègue que son employeur a délibérément profité de son déficit intellectuel afin d’obtenir la conclusion de l’accord de rupture conventionnelle. Le Conseil des Prud’hommes de Heilbronn a fait droit à la demande et constaté la poursuite du contrat de travail aux conditions inchangées, l’accord de résiliation étant nul.
Les juges allemands étaient d’avis que l’employeur aurait violé l’obligation de loyauté dans la négociation développée par la jurisprudence sur le fondement des articles 311 al. 2 et 241 al. 2 du Code civil allemand (BAG, arrêt du 07.02.2019 – 6 AZR 75/18). En l’espèce, le tribunal estime qu’au regard de la faiblesse intellectuelle de l’employé, l’employeur aurait été dans l’obligation d’attirer son attention sur le fait qu’il était en droit de reconsidérer son acceptation pendant un certain délai de réflexion, en dehors des locaux de l’employeur – ce qui lui aurait permis de consulter l’avis de ses proches. Le tribunal fait également état des circonstances qui ont entouré la conclusion de l’accord. L’employé s’était vu remettre simultanément un accord de résiliation ainsi qu’un avertissement (Abmahnung) arguant son absence pendant deux jours. Croyant avoir reçu une simple lettre de licenciement, il avait signé les deux documents. Or, en droit social allemand, l’avertissement concernant des faits répréhensibles de l’employé a pour effet que l’employeur renonce à son droit de prononcer un licenciement pour ces mêmes faits.
La création ou l’exploitation d’une situation de négociation inéquitable (par ex. : faiblesse psychique, connaissances linguistiques insuffisantes, pression psychologique) constitue, en droit du travail allemand, un manquement à l’obligation de négocier loyalement, reconnue en tant qu’obligation précontractuelle par la jurisprudence. Le Conseil des Prud’hommes de Heilbronn c’est cependant écarté de la jurisprudence du tribunal fédéral de travail (BAG, arrêts du 24.02.2022 – 6 AZR 333/21 et du 07.02.2019 – 6 AZR 75/18) en ce qu’il considère que dans certains cas exceptionnels, il serait nécessaire d’accorder un délai de réflexion et d’en informer l’employé avec lequel il souhaite conclure un accord de rupture conventionnelle. Selon les juges, cette obligation découlerait des obligations de respect mutuel des cocontractants (Rücksichtnahmepflicht) découlant du contrat de travail.
L’obligation de loyauté dans les négociations reste un principe assez vague en droit du travail allemand, notamment en ce qu’il n’existe pas de jurisprudence constante sur la question de savoir dans quelle mesure un employeur est tenu d’attirer l’attention de l’employé sur les suites d’une rupture conventionnelle. Sa violation peut, comme dans le présent cas, mener à une nullité de la rupture et à une réintégration du salarié ; elle peut dans d’autres cas également fonder des droits à dommages et intérêts au profit du salarié.
Cet article a été rédigé par Christophe Kühl en collaboration avec notre stagiaire (Referendar) Fabian Loriais.
13.09.2022