Règlement d’arbitrage de la CCI 2021 : ce qu’il faut retenir
Le 1er décembre, la Chambre de commerce internationale (CCI) a tenu la conférence de lancement de son nouveau règlement d’arbitrage, adopté le 6 octobre 2020 par le comité directeur[1]. Cette nouvelle version s’appliquera automatiquement à toute procédure d’arbitrage initiée après le 1er janvier 2021 et entrera en vigueur à cette date.
Le Règlement d’arbitrage de la CCI avait déjà été révisé à plusieurs reprises, en 2012 et 2017[2], introduisant de nouveaux mécanismes procéduraux (arbitre d’urgence et procédure accélérée notamment). La nouvelle version du Règlement introduit quant à elle peu de nouvelles dispositions, mais comporte d’importantes modifications, destinées à améliorer l’efficacité, la transparence et la flexibilité offerte par l’arbitrage CCI[3]. Comme indiqué par Alexander G. Fessas (Secretary General of the ICC Court) lors de la conférence de lancement, ces changements permettent de cristalliser des pratiques arbitrales établies au cours des dernières années et reflètent la nécessité de moderniser la gestion des arbitrages CCI.
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Efficacité
- Procédure accélérée – Art. 30 et Annexe VI : au vu du retour positif concernant la procédure accélérée, ayant permis ces dernières années un traitement rapide, efficace et peu couteux de nombreux arbitrages, la CCI a décidé d’augmenter le seuil déclenchant l’application automatique de cette procédure. Ainsi, sauf convention contraire des parties, et à condition que la clause d’arbitrage ait été conclue postérieurement au 1er janvier 2021, tout litige jusqu’à 3 millions de dollars US sera désormais automatiquement soumis à la procédure d’arbitrage accélérée (contre 2 millions dans la précédente version du Règlement). Comme indiqué lors de la conférence de lancement du 1er décembre 2020, la question du seuil approprié a été longuement discutée, et il n’est pas exclu que celui-ci soit augmenté dans le futur.
- Intervention d’un tiers – Art. 7 (5) : dans le cadre de procédures multipartites et/ou fondées sur plusieurs contrats, l’intervention d’un tiers peut désormais être autorisée postérieurement à la confirmation ou la nomination d’un arbitre. Il revient au Tribunal arbitral, une fois constitué, de se prononcer sur la demande d’intervention en tenant compte des circonstances et des conséquences émanant de l’intervention du tiers dans la procédure. Ladite intervention est soumise à l’accord du tiers à la constitution du tribunal arbitral et à l’acte de mission, mais l’accord des autres parties n’est pas nécessaire. Il s’agit là d’un changement important, dans la mesure où le Règlement CCI 2017 prévoyait qu’aucune intervention ne pouvait avoir lieu après la confirmation ou la nomination d’un arbitre, à moins que toutes les parties, y compris la partie intervenante, en soient convenues autrement.
- Consolidation – Art. 10 (b) et (c) : Le Règlement 2021 confirme que, même dans les cas où ils reposent sur des clauses d’arbitrage distinctes (des contrats distincts), plusieurs arbitrages peuvent, sous certaines conditions, être consolidés en une seule et même procédure. L’ancienne version laissait en effet cette question en suspens. Même si elle ne fait qu’entériner une pratique arbitrale existante, cette clarification est donc la bienvenue : comme souligné par Alexis Mourre (ICC Court President) lors de la conférence de lancement du nouveau Règlement, elle introduit une meilleure prévisibilité des cas pouvant donner lieu à consolidation.
- Sentence additionnelle – Art. 36 (3) : dans les 30 jours suivant la réception de la sentence, les parties peuvent déposer une requête aux fins de sentence additionnelle, concernant les demandes sur lesquelles le tribunal arbitral aurait omis de trancher. La partie adverse aura alors un délai maximum de 30 jours pour répondre, et la sentence additionnelle devra être rendue dans les 30 jours suivant la réception de ladite réponse. L’idée centrale est d’éviter que les parties soient forcées d’introduire un tout nouvel arbitrage si certaines de leurs demandes n’ont pas été traitées. Il reste à voir si les parties feront un usage raisonné de cette possibilité, ou si celle-ci donnera lieu au dépôt de requête peu sérieuses.
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Modernisation
- Vidéoconférence/télécommunications – Art. 26 (1) : au regard de la crise sanitaire mondiale, la CCI a adopté une nouvelle approche concernant le déroulement de la procédure d’arbitrage, reflétant la volonté de modernisation de celle-ci. A la demande d’une des parties ou sur décision du tribunal après consultation des parties, les audiences peuvent se tenir à distance, notamment par vidéoconférence, par téléphone ou tout autre moyen de communication approprié. Cette nouvelle disposition permet de garantir l’efficacité de la procédure d’arbitrage, ainsi que d’en réduire les coûts et la durée.
- Abandon du dépôt papier – Art. 3 (1), 4 et 5 – le nouveau Règlement s’éloigne de la présomption historique d’un dépôt papier des mémoires et autres communications écrites. L’article 3 (1) prévoit désormais que lesdits documents seront « envoyés » (et non plus « fournis en autant d’exemplaires qu’il y a de parties) aux membres du tribunal arbitral et aux parties, avec la CCI en copie. Les articles 4 et 5 sont adaptés en conséquence, et prévoient par défaut un envoi électronique, le dépôt papier restant possible pour la partie qui le souhaite. Il a par ailleurs été précisé lors de la conférence de lancement du nouveau Règlement que la CCI mettrait à la disposition des parties un « Sharepoint » pour chaque arbitrage, sur lequel les parties pourront déposer leurs écritures et pièces. En revanche, la CCI a décidé de ne pas entériner dans le Règlement la possibilité de signature par voie électronique (notamment de l’acte de mission), au vu des incertitudes entourant le caractère exécutoire des documents signés électroniquement. A ce stade, la signature électronique reste donc simplement encouragée dans la « Note d'orientation sur les mesures possibles visant à atténuer les effets de la pandémie du COVID-19 » du 9 avril 2020[4].
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Transparence, impartialité
- Financement de la procédure par un tiers – Art. 11 (7) : Afin de garantir la transparence de la procédure, chaque partie sera tenue d’informer sans délai le Secrétariat, les arbitres et les autres parties de l’existence de tout accord de financement de la procédure qui aurait été conclu avec un tiers, qui aurait par conséquent un intérêt économique dans l’issue du litige. L’identité de ce tiers devra être dévoilée afin de permettre au tribunal d’évaluer l’existence de conflits d’intérêts. La partie concernée n’aura pas l’obligation de faire connaître les termes et le contenu de l’accord de financement. Cet amendement va dans le sens de ce qui était d’ores et déjà envisagé au §28 de la « Note aux Parties et aux Tribunaux Arbitraux sur la Conduite de l’arbitrage selon le Règlement CCI » du 1er janvier 2019[5] : « Les relations entre arbitres, ainsi que celles avec une entité ayant un intérêt économique direct au litige ou une obligation de dédommager une partie pour la sentence, doivent également être prises en compte dans les circonstances de chaque affaire ». Il permettra de faciliter la tâche des arbitres concernant leur obligation de révélation et devrait ainsi éviter certains recours contre les sentences.
- Changement de conseil – Art. 17 (2) : les parties devront informer le Secrétariat, les arbitres et les autres parties de tout changement de conseil. Le tribunal est autorisé dans une telle situation, à prendre toute mesure permettant d’éviter une situation de conflits d’intérêts, y compris par l’exclusion totale ou partielle du nouveau conseil de la procédure. Comme indiqué lors de la conférence de lancement du nouveau Règlement, cette nouvelle disposition est inspirée les IBA Guidelines on Party’s Representation du 25 mai 2013[6] et a été introduite en réponse à une demande croissante en ce sens (notamment au vu du nombre conséquent de référence aux règles IBA dans les actes de mission). Elle ne constitue cependant pas une carte blanche aux tribunaux arbitraux pour disqualifier un conseil, le but poursuivi par la disqualification devant nécessairement servir les intérêts du dossier.
- Justification de ses décisions par la Cour – Annexe II, Art. 5 : Les parties ont désormais la possibilité de demander à la Cour d’expliciter les raisons fondant ses décisions concernant l’existence d’une convention d’arbitrage (art. 6(4)), la consolidation de procédures (Art. 10), la constitution du Tribunal Arbitral (Art. 12(8) et (9)), la récusation d’un arbitre (Art. 14) et le remplacement d’un arbitre (Art. 15 (2)).
- Nomination des arbitres par la Cour nonobstant l’accord des parties – Art. 12.9 : la Cour d’arbitrage de la CCI a désormais la possibilité, dans des « circonstances exceptionnelles », d’écarter les modalités de constitution du tribunal prévues par les parties et de nommer les membres du tribunal arbitral. Le but poursuivi est « d’éviter un risque important d’inégalité et d’injustice susceptible d’affecter la validité de la sentence » et de réduire ainsi le risque de recours en annulation contre la sentence. Comme il a été indiqué lors de la conférence de lancement du 1er décembre 2020, il s’agit-là d’un des ajouts les plus controversés du nouveau Règlement, la question de l’interprétation devant être faite par la Cour de ce que constituent des « circonstances exceptionnelles » restant en suspens.
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Autres ajouts notables
- Résolution des litiges relatifs à l’administration de la procédure – Art. 43 : ce nouvel article prévoit que tout litige relatif à l’administration de la procédure par la Cour sera soumis au droit français et devra être tranché par le Tribunal judiciaire de Paris, lequel a compétence exclusive.
- Arbitrage d’investissement – Art. 13 (6) : le nouveau Règlement précise que, dans le cadre d’arbitrages d’investissement, aucun des arbitres (ni le Président, ni aucun autre membre du tribunal), ne pourra être de même nationalité que l’une des parties à la procédure. Il s’agit là d’assurer la neutralité des arbitres dans des litiges entre Etats et investisseurs, règle consacrée de manière similaire dans les règles d’arbitrage CIRDI (Art. 1 (3)). Le nouveau Règlement précise que les règles relatives à l’arbitrage d’urgence ne trouvent pas application dans le cadre d’arbitrages d’investissement (Art. 29 (6)), ce qui s’explique certainement par la difficulté pour une partie étatique de respecter les contraintes spécifiques (notamment de délais) à l’arbitrage d’urgence.
La publication de ces nouvelles règles s’accompagnera d’une version révisée de la « Note aux Parties et aux Tribunaux Arbitraux sur la Conduite de l’arbitrage selon le Règlement CCI », laquelle apportera sans aucun doute un éclairage pratique et bienvenu sur les nouvelles dispositions.
[1] Le texte reste susceptible de modifications éditoriales avant son entrée en vigueur.
[2] Voir la version 2017 du Règlement en français : https://iccwbo.org/content/uploads/sites/3/2017/02/ICC-2017-Arbitration-and-2014-Mediation-Rules-french-version.pdf.pdf
[3] Voir la version 2021 du Règlement en anglais (la version française devrait être accessible dans les prochains mois) : https://iccwbo.org/dispute-resolution-services/arbitration/rules-of-arbitration/rules-of-arbitration-2021/#article_b5
[4] Voir §12 : https://iccwbo.org/content/uploads/sites/3/2020/05/guidance-note-possible-measures-mitigating-effects-covid-19-franais.pdf