Allemagne : Le salarié doit prouver ses heures supplémentaires
Lorsqu’un salarié réclame le paiement d'heures supplémentaires à son employeur, il doit en rapporter la preuve et ce, même en l’absence de système de contrôle du temps de travail dans l’entreprise.
Incertitudes en provenance de l’Union Européenne
Selon une jurisprudence constante de la Cour fédérale du travail allemande, c’est en effet au salarié qu’il incombe d’exposer concrètement les jours et les heures où il a travaillé au-delà de son temps de travail habituel et de prouver que l’exécution des heures supplémentaires a été ordonnée, approuvée ou tolérée par l’employeur.
Néanmoins, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu, le 14 mai 2019, un arrêt (également appelé en allemand "arrêt de la pointeuse") intimant aux Etats membres d’obliger les employeurs à mettre en place un système d’enregistrement du temps de travail, afin d’être en conformité avec le droit européen, notamment au regard de la protection de la santé des travailleurs.
Dès lors, se posait la question de la charge de la preuve des heures supplémentaires en l’absence d’un tel système dans l’entreprise.
C’est toujours au salarié qu’il incombe d’établir concrètement ses heures supplémentaires.
Les principes développés par la Cour fédérale du travail allemande concernant la répartition de la charge de la preuve de l'accomplissement d'heures supplémentaires par le salarié et de l'incitation de l'employeur à les accomplir ne sont pas modifiés par l'obligation, fondée sur le droit de l'Union, de mettre en place un système de mesure du temps de travail journalier :
Dans cette affaire, un chauffeur-livreur réclamait à son ancien employeur le paiement de 348 heures supplémentaires. Le demandeur utilisait un système d’enregistrement du temps de travail, dans lequel seuls le début et la fin du temps de travail quotidien étaient indiqués, pas les temps de pause.
En première instance, le tribunal du travail d'Emden a accordé au demandeur le paiement des heures supplémentaires invoquées, ce en dépit de l'insuffisance des preuves. Il s’est appuyé sur la jurisprudence précitée de la CJUE et en a déduit, comme il l'avait déjà fait à deux reprises par le passé, une obligation pour l'employeur de mesurer, d'enregistrer et de contrôler le temps de travail de ses salariés. L'absence ou l’insuffisance d’un tel système constituerait une entrave à la preuve de la part de l'employeur et entraînerait de facto un renversement de la charge de la preuve en faveur du salarié.
Dans sa décision du 4 mai 2022, la Cour fédérale du travail allemande a invalidé l’interprétation des premiers juges et rejeté la demande du salarié. Elle considère en effet que l'arrêt de la CJUE ne lie que les États membres, et pas directement les entreprises.
En outre, elle estime que la jurisprudence de la CJUE ne peut avoir d’effet sur les principes procéduraux allemands concernant la charge de la preuve dans les litiges relatifs à la rémunération des heures supplémentaires, ce domaine ne relevant pas de la compétence de la juridiction européenne (à l’inverse par exemple de la protection de la santé des travailleurs ou des durées maximales de travail).
En l’espèce, le salarié n'avait donc pas démontré de manière suffisamment concrète qu'il lui était nécessaire de travailler sans temps de pause pour effectuer les trajets de livraison.
Ainsi, en Allemagne, si un salarié réclame le paiement d’heures supplémentaires à son employeur, il doit toujours en rapporter la preuve, peu importe que l’entreprise dispose ou non d’un système de contrôle du temps de travail.
Conseils pratiques :
- Néanmoins, l’Etat allemand devrait au regard de la jurisprudence européenne prochainement légiférer et imposer à l’employeur de mesurer le temps de travail des salariés. Par conséquent et dans une logique d’anticipation, nous recommandons d’ores et déjà d’instaurer un système adéquat de contrôle du temps de travail.
- L’instauration d’un système de mesure du temps de travail peut également permettre d’identifier et de remédier à une situation problématique et ainsi d’anticiper un éventuel contentieux (notamment dans le cas de salariés effectuant beaucoup d’heures supplémentaires).
- L’introduction d’une clause de forclusion dans les contrats de travail peut permettre le cas échéant de se prémunir contre des demandes de rappels d’heures supplémentaires pour une période trop lointaine.
23.05.2022