Application des règles légales relatives aux congés aux gérant.e.s non-associé.e.s
Le 23 juillet 2023, la Cour fédérale du travail (Bundesarbeitsgericht – BAG) a rendu un arrêt historique (9 AZR 43/22) relatif au droit à l'indemnité compensatrice de congés payés non pris pour les gérant.e.s non-associé.e.s d’une GmbH (équivalent allemand de la SARL). L’impact de cet arrêt sur le statut des gérant.es d’une GmbH est encore incertain.
Les faits de l’arrêt
La demanderesse était employée en tant que salariée depuis 1993 et avait été nommée gérante (non-associée) de la défenderesse, une GmbH, à compter de 2012. Depuis 2018, elle était également mise à disposition « en tant que gérante » pour le compte d’une autre société du groupe. La gérante était soumise à un horaire de travail journalier de 7h à 18h et avait des missions précisément définies, notamment la prospection téléphonique et la visite des clients. Elle avait, par ailleurs, des objectifs à atteindre de 40 entretiens téléphoniques par semaine et 20 visites clients par semaine.
Le « Contrat de prestation de services » prévoyait un congé annuel de 33 jours à compter de 6 ans d’ancienneté. En 2019, la gérante a démissionné de ses fonctions et mis fin à sa relation contractuelle. Elle a par la suite réclamé le versement d’une indemnité compensatrice de congés pour les 38,5 jours de congés non pris durant les deux dernières années de son mandat.
L’arrêt
La Cour fédérale du travail a fait droit à la demande de la gérante en lui accordant l’indemnité compensatrice de congés payés réclamée en vertu du § 7 al. 4 de la loi fédérale sur les congés (Bundesurlaubsgesetz – BUrlG).
Conformément au § 1 BUrlG, tout salarié a droit à un congé annuel qui, lorsqu’il ne peut être pris en raison de la rupture du contrat de travail, donne droit à une indemnité compensatrice de congés payés à moins que l’employeur ait informé le salarié par écrit de son solde de congés et du fait que ce congé sera perdu s’il n’est pas pris durant la période fixée.
La loi fédérale sur les congés s’appliquant uniquement aux salariés, il convenait ici de trancher si la gérante était « salariée » au sens de ladite loi.
Selon le BAG, la loi fédérale sur les congés doit être interprétée conformément au droit de l'Union européenne dès lors qu’elle a pour fondement la directive 2003/88/CE du Parlement européen, en particulier l'article 7 sur le congé annuel. Le BAG souligne que la notion de « travailleur » en droit de l’UE est déterminante lors de l'interprétation de cette loi, indépendamment de la qualification nationale retenue (en l’espèce la gérante non-associée d’une GmbH).
Selon la Cour de justice de l’Union européenne, la qualité de « travailleur » d’un.e gérant.e au sens du droit de l’UE dépend, notamment, de la nature de ses tâches, de l’étendue de ses pouvoirs et du contrôle auquel il/elle est soumis.e au sein de la société ainsi que des circonstances dans lesquelles il/elle peut être révoqué.e.
En l'occurrence, le BAG a estimé que la demanderesse devait être considérée comme une salariée conformément à la notion de « travailleur » de droit européen, dès lors qu'elle était soumise à des instructions strictes et qu’elle devait respecter un horaire de travail. La nature des tâches qui lui étaient confiées plaidait également, à la lumière du droit européen, en faveur de sa qualité de salariée.
Si l’on peut penser que l’arrêt du BAG est un cas d’espèce, il convient de rappeler que la notion de « travailleur » au sens des règles européennes, qui est applicable au droit national selon le BAG, du moins dans la mesure où la loi en question est basée sur le droit européen, comme la loi fédérale sur les congés, est plus large que la notion allemande de « salarié ». Dès lors, il n’est pas exclu que le BAG considère que tout.e gérant.e non-associé.e soit considéré.e comme un.e salarié.e au sens de la loi fédérale sur les congés.
Il reste à voir si d’autres règles nationales nées de la transposition d’une directive européenne seront également appliquées à un.e gérant.e non-associé.e d’une GmbH sur le fondement de la notion de « travailleur » au sens du droit de l'Union européenne. Faut-il s’attendre à ce que les règles sur le temps de travail transposant une directive européenne soient bientôt appliquées aux mandataires sociaux ? Le suspense reste entier !
Conseils pratiques
Nous recommandons de veiller à la prise en compte des règles sur le congé annuel dans la rédaction de contrat de mandat de gérant en faisant la distinction entre le congé minimum légal et le congé contractuel et en informant chaque année votre gérant.e individuellement et par écrit de son solde de congés payés. La question de savoir quel organe est compétent pour cette information n'a pas encore été tranchée par la jurisprudence. Il s’agit probablement de l’assemblée générale des associés, ce qu’il convient néanmoins de vérifier au cas par cas.