Renforcement de la place juridique allemande
Le 1er avril 2025, la loi destinée à rendre les juridictions civiles allemandes plus compétitives par rapport aux juridictions d’autres pays (Gesetz zur Stärkung des Justizstandortes Deutschland) est entrée en vigueur. Les nouveautés les plus importantes établies par cette loi sont
- L'établissement des chambres commerciales dénommées Commercial Courts,
- La possibilité de plaider en anglais,
- Le raccourcissement des voies de recours et
- Le renforcement de la protection du secret des affaires.
Ces nouveautés garantissent une procédure plus conforme aux intérêts des parties et sont particulièrement avantageuses pour les parties étrangères.
Le législateur allemand s’inscrit ainsi dans une dynamique semblable à celle de la France, qui, il y a quelques années, a introduit les chambres commerciales internationales du Tribunal de Commerce (CCIP-TC) et de la Cour d’appel de Paris (CCIP-CA). Cette initiative repose sur des motivations similaires : renforcer l’attractivité de la justice étatique dans la compétition visant à faire de ces juridictions des acteurs majeurs de l’économie juridique mondiale.
Même si la réforme se rapproche de la procédure d'arbitrage sur certains points, elle n'est toutefois pas de nature à la remplacer. L’arbitrage continue de présenter de nombreux avantages. Dans ce domaine encore, le législateur allemand tente d'introduire des réformes afin de rendre l'Allemagne plus attarayante en tant que place d'arbitrage.
1. L’établissement des Commercial Courts
La nouveauté la plus importante de la nouvelle loi est l'introduction des Commercial Courts destinées à être extrêmement efficaces dans la résolution des litiges commerciaux internationaux. Il s'agit de formations de jugement spéciales au sein des Cours d’appel (Oberlandesgerichte) compétentes pour des litiges d'une valeur supérieure ou égale à 500.000,00 euros. De manière générale, leur compétence englobe les litiges civils entre entreprises en droit des affaires.[1]
Les Commercial Courts se distinguent de ce que l’on appelle les Commercial Chambers, qui ont également été introduites par la loi. Les Commercial Chambers sont des chambres au sein des tribunaux judiciaires allemands dans lesquelles une audience en anglais peut avoir lieu. Le litige sera porté devant ces chambres spéciales du tribunal judiciaire lorsque la compétence de la Commercial Court n'est pas établie, mais qu'il existe un besoin de mener la procédure en anglais.
La compétence des Commercial Courts est établie par un accord exprès ou tacite des parties avant ou après le début du litige.
Les règles de procédure applicables devant le tribunal judicaire s'appliquent également aux Commercial Courts, à l'exception de celles relatives au juge unique. En effet, l’affaire ne pourra pas être confiée à un seul juge. On peut donc également s'attendre à ce que les décisions judiciaires ainsi rendues gagnent en qualité grâce aux échanges entre les juges au sein de la même formation. Par conséquent, il est d’ores et déjà recommandé de réfléchir à l’utilité d’une clause attributive de compétence au profit d’une Commercial Court au moment de la rédaction de vos contrats. Nous pouvons, le cas échéant, vous accompagner dans la réalisation de cette étape.
A la différence, essentielle, de la structure française à deux niveaux, avec les CCIP-TC et CCIP-CA, la Commercial Court allemande peut être saisie non seulement au niveau de l’appel, mais également lors de la première instance.
Ainsi, la compétence en première instance de ces Commercial Courts et la possibilité de pourvoi en cassation (Revision) directement devant la Cour fédérale de justice allemande (Bundesgerichtshof) permettent d'alléger la procédure et d'envisager un règlement définitif beaucoup plus rapide du litige.
Contrairement à la France, ce n'est pas le caractère international du litige qui détermine la compétence, mais son rattachement au droit des affaires. Pourtant, une clause attributive de juridiction au profit des Commercial Courts est notamment préférable dans les litiges commerciaux internationaux.
2. L'anglais comme langue du tribunal
Les possibilités de plaider et d’obtenir une décision en anglais existent désormais dans toutes les procédures devant les Commercial Chambers et les Commercial Courts, ainsi qu’en cas d’appels devant ces formations de jugement.
Pour cela, il faut que l'anglais soit choisi par les parties comme langue de procédure ou que ce choix ne soit pas contesté avant la fin du délai de réponse à l’action lorsque la requête a été déposée en anglais. Il est possible de faire appel à un interprète, si nécessaire, à tous les stades de la procédure. Les documents produits en anglais lors du procès ne doivent pas nécessairement être traduits. Les pièces rédigées en allemand ne sont traduites que sur demande.
Les recours contre des décisions rendues dans des procédures en anglais doivent également être déposés dans cette langue. Cependant, la Cour fédérale de justice allemande (Bundesgerichtshof) peut décider de traiter le pourvoi en cassation en allemand. Le recours plus fréquent à l’anglais devant l’ensemble des instances améliore significativement la transparence et la clarté des procédures internationales pour les parties concernées.
3. Rapprochement avec les avantages de l’arbitrage
Outre les formations et la langue de la procédure, la loi a également introduit certaines nouveautés procédurales, s’inspirant en partie des mécanismes bien connus en arbitrage international.
Une conférence sur la gestion de la procédure est désormais obligatoire devant la Commercial Court. Cette nouveauté permet une gestion procédurale plus efficace.
Devant les Commercial Courts en première instance, il est possible pour les parties de voir et lire en direct la transcription des débats faite par le greffier sur un écran dans la salle d’audience. Inspirée elle aussi de la procédure d’arbitrage, cette pratique permet un meilleur suivi du déroulement de la procédure, les avocats pouvant directement contrôler et apporter des corrections lorsque la transcription n’est pas assez fidèle de la réalité des débats et aux déclarations des témoins. En effet, l'audition de ces derniers est un moyen de preuve beaucoup plus utilisé dans les procédures civiles allemandes que dans les procédures françaises. Selon la nouvelle loi, la transcription de leurs déclarations a lieu à la demande commune des deux parties auprès du tribunal.
La protection du secret des affaires est également renforcée, y compris lors des audiences publiques. Grâce à la modification de la loi, toutes les formations de jugement de la juridiction judiciaire pourront, sur demande d’une partie, qualifier certaines informations comme relevant du secret des affaires dès le dépôt de l’assignation. Par la suite, les règles allemandes en la matière s’appliqueront, imposant aux parties de traiter ces informations sensibles avec la plus grande confidentialité. Toute violation de cette obligation peut non seulement ouvrir droit à des dommages et intérêts pour l’autre partie, mais également entrainer des amendes. En outre, le public pourra être exclu de la procédure si nécessaire.
4. Conclusion
L'entrée en vigueur de la loi, destinée à rendre les juridictions civiles allemandes plus compétitives que leurs homologues étrangers, constitue une avancée majeure pour l’attractivité du système judiciaire allemand. Grâce à la concentration des compétences et au raccourcissement des instances, on peut s'attendre à des procédures plus rapides. Il sera donc plus facile pour les parties à une relation d’affaire internationale de s’en remettre à la justice allemande. Le déroulement de la procédure sera donc plus conforme à leurs intérêts par rapport aux procédures étatiques ordinaires.
[1] Y compris les litiges résultant de ou liés à l'acquisition d'une entreprise ou de parts d'entreprise, ainsi que les litiges entre les sociétés et les membres de l'organe de direction ou du conseil de surveillance à l’exception des litiges concernant l’irrégularité des actes et délibérations des associés et des litiges dans le domaine de la protection de la propriété industrielle, du droit d'auteur et des réclamations au titre de la loi sur la concurrence déloyale.