Système électronique d’enregistrement du temps de travail demandé par le CSE allemand (Betriebsrat)
Le Betriebsrat (CSE en Allemagne) peut imposer à l'employeur de mettre en place un système électronique d'enregistrement du temps de travail. C'est ce qu'a décidé la chambre sociale de la Cour d’appel (Landesarbeitsgericht) de Hamm dans un jugement récent du 27 juillet 2021.
Contrairement au CSE français, le Betriebsrat allemand dispose d'un véritable droit de codécision dans des domaines précis énumérés par le § 87 al. 1 n°6 de la Betriebsverfassungsgesetz (BetrVG), loi allemande sur la représentation des salariés au sein des entreprises, dont notamment celui de « l'introduction et l'utilisation de dispositifs techniques destinés à surveiller le comportement ou les performances des salariés ». À défaut d'accord entre l'employeur et le Betriebsrat sur les sujets énumérés par ce paragraphe, chaque partie peut faire appel à un comité de conciliation (Einigungsstelle) dont la décision s'impose à chacune des parties.
C'est ce qu'a fait le Betriebsrat d'une entreprise allemande à la suite de l'échec de la négociation d'un accord d'entreprise sur l'enregistrement du temps de travail. Faute d'accord, l'employeur avait décidé de ne pas introduire de système électronique d'enregistrement du temps de travail, ce qui a amené le Betriebsrat à faire appel au comité de conciliation afin d’obtenir sa mise en place.
L'employeur a contesté la compétence dudit comité en soulignant que, selon la jurisprudence de la Cour fédérale du travail (Bundesarbeitsgericht), le Betriebsrat n'avait pas de droit d'initiative en cas d'introduction d'équipements techniques.
En principe, les droits de codécision prévus par le § 87 al. 1 BetrVG comprennent également un droit d'initiative permettant tant à l'employeur qu'au Betriebsrat de prendre l'initiative d'introduire une réglementation souhaitée et, le cas échéant, de faire appel au comité de conciliation pour la réaliser. Toutefois, selon une jurisprudence constante du Bundesarbeitsgericht, par exception, un tel droit d'initiative n'existait pas en cas d'introduction d'équipements techniques, étant donné que le droit de codécision du Betriebsrat existant à cet égard n'avait qu'une fonction défensive.
En première instance, les juges avaient ainsi fait droit à l'exception d'incompétence soulevée par l’employeur, suivant ainsi la jurisprudence constante du Bundesarbeitsgericht.
Le Landesarbeitsgericht de Hamm a annulé cette décision en considérant, contrairement à la position du Bundesarbeitsgericht, que le Betriebsrat avait le droit d’initier également l’introduction des équipements techniques, en l’espèce un système électronique d’enregistrement du temps de travail.
Conséquences en pratique :
C’est notamment dans le contexte de l'arrêt historique de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt du 14 mai 2019, C-55/18), que cette décision revêt une importance particulière.
Selon cet arrêt de la CJUE, les États membres doivent en effet imposer aux employeurs l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier. Même si la jurisprudence européenne n’a jusqu’à présent pas été transposée en droit national allemand, le Betriebsrat peut, selon la jurisprudence du Bundesarbeitsgericht, déjà aujourd’hui exiger d'être informé du début et de la fin des journées de travail, afin de pouvoir vérifier le respect des durées maximales du travail. La manière dont le temps de travail est documenté est toutefois soumise à la décision de l'employeur. Alors que ni la loi allemande ni la jurisprudence de la CJUE n'obligent l'employeur à enregistrer les heures de travail par le biais d’un système électronique, le Betriebsrat pourrait néanmoins le faire à l'avenir si l’arrêt du Landesarbeitsgericht de Hamm était confirmé (l’employeur a saisi le Bundesarbeitsgericht d’un pourvoi en cassation).
En plus, l’arrêt du Landesarbeitsgericht de Hamm est d'autant plus délicat que ses effets ne se limitent pas à l'introduction d’un système d’enregistrement électronique du temps de travail. Si l'on considère que les dispositifs techniques au sens du § 87 al. 1 n°6 BetrVG sont, selon la jurisprudence, tous ceux susceptibles de permettre le contrôle des salariés, ceux-ci comprennent également, en raison des données de connexion (ou « fichier log »), de simples programmes Office, ce qui impliquerait que le Betriebsrat pourrait dorénavant imposer à l’employeur l'introduction de nombreux systèmes informatiques, y compris des systèmes d'exploitation.
Il reste donc à attendre si la plus haute juridiction allemande en matière sociale suit sa propre jurisprudence antérieure (pas de droit d’initiative du Betriebsrat d’imposer des équipements techniques) ou si elle se laisse convaincre par la position des juges de Hamm. En attendant, le risque pour les employeurs de devoir introduire un système électronique d’enregistrement du temps de travail sous l’impulsion du Betriebsrat subsiste.
22.09.2021