Arbitrage international : nouvelles règles IBA sur la preuve
Le 15 février 2021, l’International Bar Association (IBA) a publié ses règles révisées sur l'administration de la preuve dans l'arbitrage international, adoptées le 17 décembre 2020[1].
À quoi servent les Règles de l'IBA ?
L’arbitrage offre aux parties une grande liberté concernant l’organisation de la procédure et l’administration de la preuve, contrairement aux procédures étatiques soumises aux principes stricts du droit procédural national applicable. Il peut cependant s’avérer compliqué pour les parties de déterminer les règles devant s’appliquer à leur procédure arbitrale.
C’est cette difficulté qu’a souhaité pallier l’IBA en publiant en 1999 les Règles sur l‘administration de la preuve dans l'arbitrage international (les Règles de l‘IBA). L’idée était alors de fournir aux parties (souvent de traditions juridiques différentes) un socle commun de règles relatives à l’administration de la preuve en arbitrage. Ceci était d’autant plus important que ces règles peuvent être très divergentes dans les pays de tradition civiliste et ceux de common law. Les Règles de l’IBA devaient donc permettre une gestion plus efficace, équitable et économique de l’administration de la preuve en arbitrage international[2], en mettant notamment en place des mécanismes de production de documents et d’interrogation de témoins et d’experts.
Conçues comme un ensemble de règles devant s’appliquer en conjonction avec les dispositions légales et les règlements institutionnels ou ad hoc (ou toutes autres règles de procédure applicable), les Règles de l'IBA sont aujourd’hui considérées comme des principes standards, et revêtent donc une importance majeure dans la pratique arbitrale.
Afin de refléter au mieux l’évolution de la pratique, les Règles de l’IBA ont été révisées une première fois en 2010. Avec les Règles de l’IBA 2020, il s’agit donc de la deuxième révision entreprise depuis 1999.
Quels sont les principaux changements ?
Plusieurs changements sont destinés à clarifier certaines questions :
- l'article 1.2 prévoit désormais expressément que les parties peuvent adopter les Règles de l'IBA en tout ou en partie seulement ;
- une autre précision importante concerne la traduction des documents : aux termes du nouvel article 3.12, les documents rédigés dans une langue autre que la langue de la procédure arbitrale ne doivent être traduits que s'ils sont officiellement communiqués en tant que pièce. En revanche, les documents fournis à la partie adverse à la suite d'une demande de production de documents ne doivent pas être traduits. Il est désormais clair que la traduction d'un document incombe toujours à la partie qui le dépose en tant que pièce dans la procédure ;
- de même, la protection de la confidentialité prévue à l'article 9 a été étendue aux documents produits à la suite d'une demande de production de documents.
D'autres changements formalisent une pratique arbitrale établie de longue date :
- l'article 3 des Règles de l'IBA prévoit que toute partie peut soumettre au tribunal arbitral une demande de production de documents :
- toute partie peut dorénavant formuler une objection à la demande et non plus seulement la partie à laquelle la demande est adressée ;
- en outre, l'article 3.5 prévoit expressément que la partie requérante a désormais la possibilité de répondre à une telle objection.
- Une autre nouveauté concerne les déclarations de témoins et les rapports d’expertise. Jusqu’à lors, des déclarations de témoins ou des rapports d'expertise modifiés ou additionnels ne pouvaient être déposés que si les éléments nouveaux qu’ils introduisaient avaient pour objet de répondre à des éléments d’ores et déjà contenus dans une déclaration de témoin, un rapport d’expertise ou le mémoire d’une autre partie. Cette approche ne correspondait cependant pas à la pratique courante, la pertinence de certaines explications et avis techniques ne se révélant qu'en cours de procédure. Les articles 4 et 5 ont donc été modifiés : les déclarations de témoins ou rapports d’expertise modifiés ou additionnels sont désormais également recevables s’ils portent sur des faits ou éléments nouveaux n’ayant pu être abordés antérieurement.
Certaines règles de l'IBA concernent par ailleurs le traitement par le tribunal arbitral des preuves qui lui sont présentées :
- le pouvoir discrétionnaire du tribunal arbitral est élargi concernant les interrogations de témoins. Le nouvel article 8.5 prévoit que, même dans les cas où il aura ordonné qu’une déclaration écrite de témoin ou un rapport d’expert tienne lieu de témoignage direct, le tribunal arbitral pourra dorénavant néanmoins autoriser une interrogation orale de ce témoin, pouvant même dépasser le cadre de la déclaration écrite ;
- en vertu du nouvel article 9.3, le tribunal arbitral est désormais expressément habilité à exclure de la procédure, à la demande d'une partie ou de sa propre initiative, les preuves obtenues illégalement.
Enfin, les règles révisées de l'IBA contiennent des innovations importantes :
- la plus marquante est sans doute la possibilité de tenir une audience sur la preuve à distance. Le nouvel article 8.2 prévoit en effet qu’une telle audience puisse être ordonnée par le tribunal arbitral à la demande d'une partie ou de sa propre initiative. Dans un tel cas, après consultation des parties, un protocole est établi en amont de l’audience, afin d‘assurer que celle-ci se déroule de manière efficace, équitable et, dans la mesure du possible, sans interruption involontaire.
L'article 8.2 contient une liste non exhaustive des points pouvant être prévus dans ce protocole, allant de la plateforme utilisée (en ce compris une formation à l’utilisation de celle-ci et d’éventuels tests), à la manière dont les documents peuvent être présentés à un témoin ou au tribunal arbitral et aux mesures visant à garantir que les témoins ne sont pas indûment influencés ou distraits ;
- dans cette optique, la cybersécurité et la protection des données ont été ajoutées à la liste des thèmes devant être abordés au plus tôt avec les parties au cours de la procédure, figurant à l'article 2 des Règles de l’IBA.
Conclusion
La révision des Règles de l'IBA consiste principalement en une formalisation de pratiques arbitrales déjà bien établies, conduisant à une simplification de la procédure arbitrale, plus de clarté, une optimisation des coûts et un gain de temps certain. A ce titre, cette nouvelle version mérite donc d’être saluée. En pratique, son principal impact devrait résulter de la possibilité de tenir les audiences à distance. Cette innovation s’inscrit dans le cadre d’une évolution récente vers une digitalisation des procédures, certainement en partie due à la pandémie de Covid-19, également introduite dans le cadre d'autres règlements d’arbitrage. À titre d’exemple, le nouveau Règlement d’arbitrage de la CCI, entré en vigueur le 1er janvier 2021, prévoit également une telle possibilité (sur les nouveautés apportées par ce règlement, voir notre article ici).
24.03.2021