Comment acquérir un fonds de commerce en Allemagne ?
Sommaire
- Qu’est-ce qu’un « asset deal » en Allemagne?
- L’obligation de forme notariée
- Quels sont ces avantages et inconvénients ?
- Le transfert d’actifs est-il assujetti à la TVA ?
- Quid des salariés lors d'un tel transfert ?
- Quid de la cession de clientèle ?
- L’approbation du conjoint
I. Qu’est-ce qu’un « Asset Deal » en Allemagne?
En droit allemand comme en droit français, on distingue essentiellement deux possibilités pour acquérir une société, dans sa totalité ou partiellement : L’acquisition de parts sociales ou d’actions détenues par les associés (dite « share deal ») (voir notre mémo sur le rachat d'entreprise en Allemagne) ou l’acquisition d’éléments d’actif isolés cédés par la société (communément appelé « Asset Deal » en Allemagne).
Le droit allemand ne connait pas la notion de fonds de commerce et par conséquence, la cession d’éléments d’actifs isolés n’est pas, comme en France, encadrée par un régime légal particulier. Le régime applicable à l’asset deal de droit allemand est donc le régime général de la cession d’actifs isolés d’une société. Par conséquent, lors d'un asset deal, tous les actifs vendus (machines, contrats client, biens immobiliers, droits de propriété intellectuelle etc.) doivent être désignés individuellement de manière détaillée dans le contrat d’acquisition. La précision s’impose non seulement pour les parties mais également pour l'administration fiscale. En raison du recensement détaillé de tous les actifs et du passif de la société cible, la rédaction du contrat dans le cadre d'un asset deal peut être beaucoup plus vaste et complexe que dans l’hypothèse d'une acquisition de parts sociales ou d’actions.
En principe le contrat peut être rédigé sous forme d'acte sous seing privé. En Allemagne, contrairement au droit français où la cession du fonds de commerce est très encadrée, il n’est pas soumis à des formalités de publicité ou de séquestre de prix et la rédaction de l’acte est libre et sans mention obligatoire. Toutefois, l’obligation d’acte notarié s’impose dans certains cas.
II. L’obligation de forme notariée
En effet, dans plusieurs hypothèses l’asset deal sera soumis à une obligation de forme contraignante, à savoir être rédigé sous forme d’acte notarié (§ 311 b BGB – Code civil allemand) :
- Lorsqu’un bien immeuble est compris parmi les actifs cédés, l’ensemble de l’acte sera systématiquement soumis à l’obligation de la forme notariée ;
- Lorsque des parts sociales d’une société à responsabilité limitée de droit allemand (Gesellschaft mit beschränkter Haftung) sont cédées ; et
- Lorsque le cédant s'engage à transférer son patrimoine dans son ensemble (Vermögen im Ganzen) ou la quasi-totalité de son patrimoine.
La jurisprudence allemande est venue préciser la notion en fixant un pourcentage afin de définir un seuil à partir duquel la cession concerne la quasi-totalité du patrimoine à savoir : il s’agit d’une cession de la quasi-totalité du patrimoine du cédant lorsque celui-ci cède à minima 85 % ou 90 % de son patrimoine. Le seuil dépend de valeur du patrimoine détenu, en ce que jusqu’à 50.000 € le seuil est de 85 %. Au-delà de cette valeur, il suffit que le cédant garde en sa possession 10 % de son patrimoine pour ne pas tomber dans le champ d’application de la cession de patrimoine dans son ensemble. Or, notamment dans le cas d’un cédant personne morale et à l’instar de la cession de fonds de commerce de droit français, le contrat d'asset deal portera souvent sur l'ensemble des actifs de la société cédante. La troisième hypothèse (la cession du patrimoine ou la quasi-totalité du patrimoine dans son ensemble) n’est toutefois pas caractérisée lorsque dans le contrat de vente, le cédant s’engager à transférer uniquement certains actifs isolés, énumérés individuellement, et cela même si ces actifs isolés pris ensembles constituent l’ensemble du patrimoine. La différence étant que dans le cadre de la cession d’actifs isolés listés individuellement dans le contrat de cession, le cédant a une connaissance exacte de ce qu'il transfère. Dans ce contexte, les clauses dites de « catch-all » souvent utilisées, peuvent être préjudiciables. Selon la rédaction de la clause, le cédant s’engage à céder non seulement les actifs expressément mentionnés dans le contrat, mais aussi tous les autres actifs qui font partie du fonds de commerce mais qui ne sont pas mentionnés dans le contrat. L’application de l’obligation de la forme notariée à ces cas d’espèce est débattue, certains estimant qu'il n'y a pas d'obligation d’acte notarié, étant donné que les biens non mentionnés expressément sont généralement d'une importance mineure. En pratique toutefois il est souvent jugé que du fait de cette clause de « catch-all » le patrimoine doit tout de même être transféré en tant qu’ensemble, de manière comparable à un fonds de commerce.
Par conséquent, en raison de la difficile appréciation du champ d’application de l’obligation de forme notariée à la cession du patrimoine du cédant dans son ensemble, il convient par précaution de recourir à un acte notarié, afin de garantir la validité de la cession, dès lors que la cession n’a pas seulement pour objet la cession d’un actif isolé. La violation de cette obligation de forme est en effet sévèrement sanctionnée par la nullité de l’acte, sans qu’il soit possible d’y remédier a posteriori.
III. Quels sont ces avantages et inconvénients ?
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L'avantage de cette forme de transaction est que chaque actif peut être choisi et acquis individuellement. On parle de « cherry picking », car à l’issue de l’audit, l'acheteur ayant identifié les différents risques ainsi que les obligations pesant sur chaque actif, peut les choisir de manière ciblée. |
Documentation contraignante Chaque actif cédé doit être documenté mais aussi décrit de manière exhaustive afin de pouvoir l'identifier ultérieurement. |
Absence de transfert des risques fiscaux Dans le cas d’un asset deal le vendeur continue à assumer les risques fiscaux antérieurs à la vente. L’un des avantages de l'asset deal réside dans la valorisation fiscale du prix d'achat. En effet, l'acquéreur peut inscrire les différents actifs à son bilan et ainsi amortir au fil du temps la quasi-totalité du prix d'achat. |
Chaque contrat doit être examiné individuellement et le cas échéant, il convient de recueillir l’approbation du tiers cocontractant à la cession du contrat. Ainsi, les parties contractantes profitent parfois de l'occasion pour renégocier les conditions du contrat ou pour faire valoir de meilleures conditions afin de tirer un avantage de la vente. |
Responsabilité du cédant Dans le cadre d’une cession d’entreprise dite de Betriebsübergang (comparable à la cession de fonds de commerce), l’acquéreur bénéficie d’une responsabilité solidaire avec le cédant pour ce qui concerne les obligations échues avant la cession et celles échues pendant un an après la cession. Le cédant est en revanche seul responsable, sans limite de temps, des revendications salariales d’employés ayant quittés l'entreprise avant la cession. Une responsabilité solidaire de l'acquéreur est exclue dans ce cas, car ces contrats de travail n'ont pas été transférés à l'acquéreur.
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Une particularité des cessions de fonds en Allemagne est celle imposée par § 25 du Code de commerce allemand (Handelsgesetzbuch) qui prévoit une responsabilité de l’acquéreur pour toute obligation non éteinte du cédant en cas de poursuite de l’exploitation du fonds par l’acquéreur. Cette clause n’a vocation à s’appliquer qu’en cas de cession entre vifs (soit à l’exclusion des cas de succession) et a pour conséquence que les dettes attachées au fonds et nées antérieurement à la cession sont transférées à l’acquéreur. La condition essentielle de cette responsabilité est l’exploitation du fonds par le cessionnaire de manière identique à celle du cédant, notamment, sous la même dénomination. Par précaution il convient donc si possible de changer de dénomination et surtout de procéder à une mention d’exclusion de responsabilité du cessionnaire au registre du commerce ainsi que de procéder soigneusement aux formalités de publicité de cession auprès des créanciers du cédant. |
IV. Le transfert d’actifs est-il assujetti à la TVA ?
En cas de d’actifs sous la forme d’un asset deal, le cédant est un entrepreneur au sens du § 2 UStG. Ainsi, la cession est en principe assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée (« TVA »)(Umsatzsteuer).
Cependant, il existe un cas d’exonération : L’acquisition de la totalité des actifs d’une société (Geschäftsveräußerung im Ganzen), n’est en principe pas assujettie à la TVA. Cette exception à vocation à s’appliquer dès lors que tous les actifs essentiels au fonctionnement de la société (terrains, machines, créances, contrats, etc.) sont transférés à l’acquéreur, avec pour conséquence que l’opération n'est pas imposable en vertu du § 1 alinéa 1a UStG.
Conseil pratique : Dans chaque contrat d’acquisition, il doit être clairement stipulé si le prix d'achat convenu inclut ou exclut la TVA. En effet, selon la jurisprudence allemande, même si un contrat de vente est conclu entre des entrepreneurs bénéficiant d'un droit à déduction de la TVA, il existe une présomption selon laquelle un prix doit être compris comme brut, si aucune disposition relative à la TVA n'y figure. En l'absence de réglementation claire, le vendeur est donc le seul à supporter le risque lié à la TVA sans possibilité de déduction de la TVA en amont. En raison des possibles conséquences il est recommandé de se prémunir contractuellement du risque.
V. Quid des salariés lors d'un tel transfert ?
Dans le cadre de la cession d’une branche d’activité complète (Betriebsübergang) le § 613a BGB (Code civil allemand) garantit le transfert automatique de tous les contrats de travail à l'acquéreur. Aucun licenciement en raison de la cession de la société cible ne pourra être prononcé et cette disposition légale ne peut être exclue contractuellement. Cette disposition légale institue un mécanisme fort de protection pour les employés de la société cédée. Elle correspond à peu près à la réglementation française sur le transfert d’entreprise à l’exception toutefois que le vendeur n’est pas tenu de vendre les actifs aux salariés qui souhaitent les acquérir.
S'il y a transfert de société au sens du Betriebsübergang, l'acquéreur se substitue au cessionnaire en qualité d’employeur. Ce principe de transfert automatique des contrats de travail garantit aux salariés une grande sécurité juridique, rendant impossible un refus général de l’acquéreur à la reprise des salariés. De plus, ce régime légal est également protecteur en ce qu’il prévoit en sus un délai de carence d’un an au cours duquel leurs conditions contractuelles de travail ne peuvent être modifiées par le nouvel employeur (Veränderungssperre).
Toutefois, les salariés disposent d’un droit d’opposition (Widerspruchsrecht) au transfert automatique dans un délai d’un mois à compter de leur information complète concernant la cession. L’opposition doit être faite par écrit, soit au vendeur, soit à l’acquéreur. Il est important de noter que le délai d'opposition ne commence à courir qu'à partir du moment où la cession a été notifiée au salarié et que cette notification a été jugée complète et juste. En l'absence d'une telle information valide, le salarié garde donc la possibilité de s'opposer à la cession ultérieurement.
Dans le cas où le salarié s'oppose au transfert, la protection de § 613a BGB n’a plus vocation à s’appliquer à son égard. Le salarié reste alors lié au vendeur et continue d’exécuter son contrat de travail avec celui-ci, au risque de faire l’objet d’un licenciement économique. En effet, le cas échéant il est fort probable qu'à l’issue de la cession de la société ou d'une partie de celle-ci, l'ancien employeur arrête son activité.
VI. Quid de la cession de clientèle ?
L’élément essentiel de la notion française de fonds de commerce est celui de la clientèle. Toutefois, le droit allemand ne connaît la notion de fonds de commerce à la française. Il existe néanmoins des particularités allemandes en termes de cession de clientèle.
Lors de l'achat d’un ensemble d’actifs en Allemagne, tous les actifs d'une société sont transférés par le biais d'une transmission individuelle (Singularsukzession) qui ne porte que sur un objet ou un droit particulier, à l’inverse de la transmission universelle de patrimoine (applicable aux cessions de fonds de commerce en France). Dans le cadre des cessions d’actifs figurent régulièrement parmi les biens incorporels cédés la liste de la clientèle, ainsi que leurs données à caractère personnel.
Dans un tel cas de figure, la transmission de données à caractère personnel dans le cadre de la cession constitue un traitement de données à caractère personnel au sens de l’article 4 aliéna 3 RGPD. En principe, le traitement de données à caractère personnel est illicite en l’absence de justification légale d'autorisation de traitement. C’est pourquoi il est impératif que la cession des données à caractère personnel dans le cadre de l’asset deal soit licite.
La licéité du traitement de données à caractère personnel est notamment garantie en cas de consentement exprès du concerné (article 6 I alinéa 1 (a) RGPD), étant précisé que le consentement peut être obtenu concomitamment et de manière ciblée pour le traitement de données envisagé, soit à un stade antérieur, mais en aucun cas a posteriori. Néanmoins, recueillir le consentement exprès de toutes les personnes concernées par le traitement des données à caractère personnel semble toutefois difficilement réalisable dans le cadre de la cession envisagée. Une alternative serait que le cédant recueille ce consentement au transfert au moment de la première prise de contact avec la personne concernée. Par exemple, le cédant pourrait inclure dans sa déclaration de confidentialité une indication indiquant que la personne concernée consent d’ores et déjà à ce que ses données soient, le cas échéant, transférées à un nouveau responsable du traitement, notamment dans le cadre d'une cession d'actifs.
VII. L’approbation du conjoint
Enfin, un dernier point d’attention est l’obligation de consentement préalable exprès du conjoint lorsque le cédant est une personne physique. Cette condition de consentement exprès du conjoint est une exception au principe de liberté dans la gestion du patrimoine pendant le mariage et a vocation à s’appliquer en cas de cession du patrimoine dans son ensemble (Vermögen im Ganzen) déjà évoquée ci-dessus dans le cadre de la forme notariée de l’acte de vente. En l’absence de ce consentement préalable, la transaction n’est pas valable à l’égard des tiers et temporairement nulle (schwebend unwirksam) Cette irrégularité peut toutefois être régularisée par un accord postérieur à la cession, à défaut de quoi la cession est définitivement nulle.
Fusions & Acquisitions (M&A) en Allemagne
21.06.2022