Le rôle du gérant d’une GmbH allemande en situation de crise – obligations et risques de responsabilité
Krise, die = la crise
[grec : krisis = l’action de distinguer / choisir / séparer / décider]
On qualifie souvent la pandémie du Covid-19 de « crise ». Cette crise, d’ordre sanitaire d’abord, a déclenché des crises de différents ordres (économique, écologique, psychologique) et à différentes échelles (individuelle, au sein d’une entreprise, crise de l’économie sur un marché, crise de l’économie mondiale). Les répercussions de la crise du Covid-19 sur l'économie ont même été plus marquées que celles de la précédente grande crise, celle des subprimes.
De nos jours, on a tendance à appliquer la notion de “crise” à des situations de toute sorte dérivant d’un état étant considéré comme normal, par exemple l’état financier d’une société. En mettant l’accent sur l’influence négative des circonstances externes, l’usage personnifié du mot "crise" peut avoir tendance à diluer la chaîne des responsabilités, qui est pourtant déterminante d'un point de vue légal.
Or, en regardant l’origine grecque du mot, il est possible d’interpréter la crise comme quelque chose qui pousse l'individu concerné à l’action, à une prise de décision, au fait de trancher entre différentes options parfois opposées de comportement et de faire preuve de discernement. Une crise, c’est donc en réalité une situation qui requiert un changement de mode opérationnel par la ou les personnes concernées.
On pourrait avoir tendance à penser que le fait de constater qu’il y a une crise, la fait naître. Or, ce n’est pas forcément le fonctionnement du droit économique. Une crise au sens légal peut exister avant même qu’elle ne soit formellement constatée, communiquée ou rendue publique. En Allemagne tout comme en France, le droit des procédures collectives confère au management d’une société la responsabilité de s’apercevoir d’une crise de la société, voire de la prévoir et de la prévenir, et de prendre des mesures en conséquence.
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En amont d’une crise : obligations de surveillance courante du management :
- Reporting annuel avec pronostic de poursuite d’activité
- Information du comité économique d’entreprise (Wirtschaftsausschuss) si existant
- Obligations de gestion de la société en bon commerçant avisé, tenue de comptabilité et de surveillance de la situation financière de la société
- Obligation de convoquer les associés en AG extraordinaire en cas de perte de la moitié des capitaux propres même au cours d'un exercice
Les obligations de surveillance et de prévention de crise du management de sociétés à responsabilité limitée et l’obligation de prendre immédiatement des mesures pour combattre la crise ont encore été soulignées par le para. 1 du Sanierungs- und Insolvenzrechtsfortentwicklungsgesetz (SanInsFoG) du 22 décembre 2020.
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Survenance de la crise – changement de mode opérationnel
Une fois que le management d’une société se trouve objectivement en présence d’indicateurs d’une crise, un changement de mode opérationnel s’impose. D’un point de vue stratégique, il apparait préférable que ce changement de mode opérationnel intervienne de manière consciente et proactive et que le management décide en connaissance de cause si ce changement doit intervenir de manière officielle et offensive, ou de manière confidentielle dans un premier temps.
Or, si la société se trouve déjà en situation d’insolvabilité ou bien de surendettement (cf. notre ARTICLE), le management est obligé de réagir dans les plus brefs délais :
- Dépôt du bilan en temps voulu
La première obligation du gérant d’une société allemande dans cette situation est de déposer le bilan, immédiatement après la survenance de l’insolvabilité ou du surendettement, mais au plus tard dans les trois semaines suivant l’insolvabilité, et six semaines suivant le surendettement. Le législateur allemand a en effet considéré que si la procédure collective n’est pas ouverte rapidement, les problèmes structurels de la société débitrice et les risques y afférents pour ses créanciers et salariés risquent de s’aggraver. Pour cette raison, la loi allemande prévoit une responsabilité civile et pénale du management d’une société en cas de dépôt tardif du bilan. Inversement, si le gérant a satisfait à ses obligations de déposer le bilan en temps voulu, il se met à l’abri de poursuites personnelles pour cause de non-paiement des impôts pour l’intervalle entre le dépôt du bilan et l’ouverture de la procédure collective, cf. para. 15b VIII InsO (Insolvenzordnung, Code des procédures collectives allemand). Autant de raisons de respecter l’obligation de déposer le bilan !
- Paiements après la survenance de la cessation de paiements ou du surendettement
Par ailleurs, la société débitrice et donc son management doivent s’abstenir de soustraire des actifs à la société ou de traiter certains créanciers de manière préférentielle sans justification économique. Un paiement préférentiel d’un fournisseur peut par exemple être justifié en cas de l’achat de matières premières nécessaires pour la production de la société débitrice. A compter de l’insolvabilité ou du surendettement de la société, le gérant d’une société n'a plus le droit d’effectuer des paiements pour le compte de la société, sauf s’ils sont compatibles avec ses obligations de diligence (cf. para 15b InsO). C’est le cas pour des paiements s’inscrivant dans la marche normale des affaires ou visant à maintenir le fonctionnement de la société, alors que le management prend des démarches diligentes pour préparer le dépôt du bilan ou mettre fin à l’insolvabilité / au surendettement.
Un point d'attention majeur est le paiement privilégié à certains créanciers, dont notamment les associés de la société. La prudence est de mise non seulement pour le gérant de la société, mais aussi pour le créancier qui profite du traitement préférentiel.
- En effet, le gérant risque d’être tenu personnellement responsable du préjudice résultant pour l’ensemble des créanciers, du paiement préférentiel à certains créanciers seulement (para. 15b IV InsO). Cela concerne aussi le remboursement préférentiel de comptes-courant d’associés.
- Il est à noter que cela peut également concerner les virements sur des comptes-courant à solde négatif auprès de banques, notamment dans le cadre de dispositifs d’affacturage, qui sont souvent souscrits par des sociétés industrielles en difficulté financière, précisément aux fins de se procurer de la liquidité.
- Attention également à la vente d’actifs sans contrepartie correspondant à leur juste valeur, notamment si une société du même groupe souhaite récupérer des machines ou d’autres outils de production en contrepartie d’une compensation d’une dette entre lesdites sociétés. Cela est bien souvent une mauvaise idée car la valeur d’une dette entre des sociétés du même groupe peut s’apprécier différemment par rapport à une dette vis-à-vis d’un tiers, car la société mère va être créancier chirographaire dans le cadre de la procédure collective. Par la compensation, elle obtiendrait plus que sa quote-part en tant que créancier chirographaire (qui est bien souvent inexistante).
- Pour le créancier qui venait tout juste de décrocher un plan de paiement échelonné consenti par son débiteur déjà en crise ou d’obtenir des fonds par le biais d’une exécution forcée, la joie peut dans certains cas être de courte durée également. En effet, en droit allemand, le liquidateur peut annuler certains paiements effectués pour assurer l’égalité des créanciers (cf. notre ARTICLE). Il en va de même pour les nantissements, hypothèques et cautionnements consentis par une société en situation de crise.
- Exemples d’autres obligations
Même en situation de crise, le gérant d’une société en Allemagne doit bien évidemment veiller au maintien des fonctionnalités essentielles de l’entreprise : tenue de la comptabilité, versement des salaires, des impôts et des contributions sociales, le cas échéant maintien de la domiciliation de la société, sous peine d’engager sa responsabilité civile et pénale personnelle.
Le management de la société doit aussi prendre des mesures pour combattre la crise : par exemple, se défendre contre la résiliation de lignes de crédit ou de contrats client, tenter de trouver de nouveaux débouchés et/ou sources de liquidité, sans pour autant se voir poussé à prendre des décisions déraisonnables d’un point de vue stratégique ou économique.
Une information des salariés à travers le comité d’entreprise Betriebsrat s’impose le cas échéant, notamment en cas de changement envisagé de l’activité commerciale ou en cas de reprise de la société par un tiers.
12.07.2021