Allemagne : Responsabilité des dirigeants de fait
Dans une affaire récente, l’Oberlandesgericht (OLG) Schleswig a eu à déterminer dans quelles conditions un consultant externe peut être considéré comme un dirigeant de fait et donc exposé à la lourde responsabilité personnelle prévue en matière de redressement judiciaire. Le tribunal a apporté des précisions importantes pour les conseillers en restructuration et les gestionnaires de crise, dont la responsabilité peut, selon les circonstances, devenir très lourde.
1 Contexte juridique et problématique
La responsabilité des dirigeants de la GmbH (société à responsabilité limitée allemande) est généralement stricte, particulièrement en période de crise ou d’insolvabilité. Le droit allemand oblige les dirigeants à respecter des normes spécifiques de gestion, et en cas de redressement judiciaire, les droits de poursuite sont transférés à l’administrateur judiciaire (Insolvenzverwalter) pour protéger les créanciers.
Les conseillers et consultants, appelés pour aider la société dans des moments difficiles, risquent néanmoins de se voir qualifier de « dirigeants de fait » s’ils prennent en main la marche de l’entreprise au quotidien, exposant ainsi leur patrimoine personnel à des réclamations considérables.
2 Notion de « dirigeant de fait » selon la jurisprudence allemande
La Cour fédérale de justice (BGH) impose des critères élevés pour reconnaître une personne comme dirigeant de fait. Il ne suffit pas d’influencer les décisions ou de conseiller en interne ; il faut que la personne dirige la société vers l’extérieur, en prenant des décisions effectives et visibles, comme ordonner des paiements bancaires, signer des contrats importants, recruter des employés ou décider seule les orientations stratégiques centrales.
Un autre critère décisif est la « mise à l'écart manifeste » des dirigeants de droit par le dirigeant de fait, ce qui se traduit notamment par l’existence de procurations bancaires, de pouvoirs généraux ou d’un comportement externe comme celui d’un gérant (ex : signature d’emails, papiers à en-tête). Sans ces signes forts, le statut de dirigeant de fait n’est généralement pas retenu.
3 Les faits examinés par l’OLG Schleswig
Dans l’affaire jugée par l’OLG Schleswig (arrêt du 27 novembre 2024 – 9 U 22/24), un conseiller externe en restructuration a été attaqué par l’administrateur judiciaire de la GmbH pour plusieurs millions d’euros, au motif qu’il aurait agi comme dirigeant de fait pendant l’état de cessation de paiement de la société. Ce consultant était désigné « Chief Restructuring Officer (CRO) » et présenté comme membre de la direction, mais n’était pas officiellement inscrit comme dirigeant au registre du commerce.
L’administrateur estimait que des paiements effectués durant la période d’insolvabilité engageaient la responsabilité du consultant en vertu de l’article 15b de la loi sur l’insolvabilité (InsO).
4 Décision du tribunal
L’OLG Schleswig a confirmé le jugement de première instance, refusant de retenir la qualité de dirigeant de fait dans ce cas. Le consultant n’avait notamment pas de procuration bancaire, n’a pris aucune décision finale au nom de la société sans l’accord formel des dirigeants officiels et n’a pas cherché à se présenter lui-même comme gérant vis-à-vis des tiers.
Le tribunal souligne que le rôle consultatif, aussi déterminant soit-il, ne suffit pas pour engager la responsabilité de dirigeant de fait. Seule une conduite qui exclut pratiquement les dirigeants officiels du processus décisionnel et s’accompagne d’une prise de pouvoir visible envers l’extérieur pourrait conduire à une telle responsabilité.
5 Enjeux pratiques et recommandations
L’arrêt rappelle que le risque de responsabilité des dirigeants de fait existe, mais les conditions sont strictes.
Les consultants, associés, investisseurs ou autres personnes influentes doivent rester vigilants : de simples cumuls d’indices peuvent suffire à retenir le statut.
Il est recommandé aux conseillers en restructuration et aux consultants externes de :
- Définir clairement leur rôle comme purement consultatif par écrit.
- Éviter d’obtenir des pouvoirs de représentation externe, tels que procurations bancaires ou signatures officielles en leur nom.
- S’assurer que toutes les décisions majeures soient prises et signées par les dirigeants de droit.
- Documenter la séparation des responsabilités, par des procès-verbaux ou des notes internes.
17.12.2025