Responsabilité de dirigeants de sociétés de capitaux allemandes
En Allemagne comme en France, la loi fait la distinction entre les sociétés de personnes et les sociétés de capitaux. Les sociétés de capitaux limitent, en principe, la responsabilité des associés au montant de leur apport, alors que pour les sociétés de personnes la responsabilité est illimitée et personnelle.
Toutefois, dans certains cas, les dirigeants d’une société de capitaux, en particulier les GmbH (gérant = Geschäftsführer) et les Aktiengesellschaft (président = Vorstand), peuvent également être responsables d'un dommage sur leur patrimoine personnel.
Par conséquent, ces dirigeants doivent d’une part, veiller aux intérêts de la société, mais aussi se conformer à un grand nombre d'exigences légales et réglementaires.
En effet, la responsabilité des dirigeants de sociétés de capitaux, selon le droit allemand peut résulter de circonstances diverses et s’appuie sur un nombre important de fondements juridiques.
Tableau :
- Responsabilité vis-à-vis de la société
- Responsabilité vis-à-vis de tiers
- Responsabilité en cas d’insolvabilité
1 Responsabilité des dirigeants vis-à-vis de la société (responsabilité interne)
Dans le cadre de la responsabilité interne, la société est elle-même créancière et agit contre son propre dirigeant ou son ancien dirigeant. Les tiers étrangers ou les associés eux-mêmes n'ont pas le droit d'agir en justice dans ces cas.
- Violation du devoir général de diligence en tant que gérant
« Les gérants sont tenus d'accomplir leurs tâches avec le soin d'un homme d'affaires avisé » (§ 43 paragraphe 2 GmbHG, § 93 AktG).
Ils sont responsables des dommages résultant d'un manquement à leurs obligations. L'élément déterminant est de savoir s'ils ont fait preuve de la diligence requise. En cas de négligence ou d'intention, ils peuvent être tenus pour responsables.
La faute de gestion se comprend en droit allemand comme le manquement du dirigeant à ses obligations (Pflichtverletzung). Les contours de ces obligations résultent des devoirs du dirigeant tels que définis par la loi, de l’obligation de loyauté du dirigeant qui résulte de sa qualité d’organe de société, de l’obligation générale de diligence et du contrat de travail du dirigeant. Pour l’appréciation de la faute de gestion, le législateur allemand a fait le choix d’intégrer la « business judgement rule » à ses § 43 paragraphe 2 GmbHG, § 93 paragraphe 2 AktG.
La « business judgement rule » intervient dès lors qu’un acte du dirigeant, un dommage et le lien de causalité entre cet acte et le dommage ont pu être prouvés par le demandeur à l’action. Cette règle veut que le dirigeant soit exempté de cette responsabilité s’il peut démontrer que, lors de la prise de décision, il a pu raisonnablement considérer sur le fondement d’une information adéquate qu’il agissait pour le bien de la société (§ 93 paragraphe 1 phrase 2 AktG).
- Cas particuliers de responsabilité interne
- Création incorrecte : Lors de la constitution d'une GmbH, les prescriptions de la GmbHG doivent être respectées. Si, par exemple, les apports en nature ne sont pas correctement évalués (§ 9a GmbHG), les gérants peuvent être tenus responsables.
- Violation des règles de préservation du capital : Le remboursement du capital social aux associés est interdit (§ 30 paragraphe 1 phrase 1 GmbHG, § 57 paragraphe 1 AktG). Les gérants qui enfreignent cette disposition sont responsables du remboursement.
- Responsabilité en cas de versement illicite de dividendes : Les distributions qui portent atteinte au capital social sont interdites (§ 57 paragraphe 3 AktG) et donnent lieu à des actions en responsabilité.
- Violation de l'interdiction de concurrence : Les gérants ne peuvent pas faire concurrence à leur propre société (§ 88 paragraphe 1 AktG).
- Responsabilités à l’égard des associés
- Violation du principe d'égalité de traitement des actionnaires (§ 53a AktG) : Un traitement inéquitable des actionnaires peut donner lieu à des actions en responsabilité. La Cour fédérale de justice a souligné dans ses arrêts l'importance de l'égalité de traitement de tous les actionnaires et a insisté sur le fait que toute inégalité de traitement doit être justifiée.
- Violation des obligations d'information et de rapport : Les gérants sont tenus de fournir des rapports complets et véridiques aux associés et au conseil de surveillance. S'ils ne respectent pas cette obligation, ils peuvent être tenus pour responsables.
2 Responsabilité des gérants vis-à-vis des tiers (responsabilité externe)
Outre la responsabilité vis-à-vis de la société pour les manquements aux obligations dans les relations internes, les gérants peuvent également être tenus de verser des dommages et intérêts à des tiers dans les relations externes.
Les faits suivants peuvent être pertinents dans ce contexte :
- Violation des obligations fiscales et sociales
Les gérants sont personnellement responsables des impôts non versés s'ils ne respectent pas leurs obligations fiscales (§ 69 AO).
Le non-versement des cotisations de sécurité sociale peut entraîner des conséquences pénales et civiles (§ 266a StGB).
- Responsabilité en vertu de la violation de règles spécifiques
- Violation des obligations de protection des données : Les violations du RGPD peuvent entraîner des amendes et des demandes de dommages et intérêts considérables.
- Responsabilité pour les dommages environnementaux : les gérants peuvent être tenus responsables des dommages environnementaux en vertu de la UmweltHG et de la BImSchG.
- Non-respect des dispositions relatives à la protection du travail : Les violations de la protection du travail peuvent donner lieu à des actions en responsabilité.
- Responsabilité en cas d'infraction au droit des cartels : Les infractions à la loi sur la concurrence (GWB) et au droit européen sur les ententes peuvent entraîner des amendes élevées et des demandes de dommages et intérêts.
- Violations de la loi sur le commerce extérieur : les gérants sont responsables des transactions avec l'étranger non soumises à autorisation.
- Non-respect des interdictions de délit d'initié (WpHG) : Les opérations réalisées sur la base d'informations privilégiées sont interdites et peuvent entraîner des conséquences civiles et pénales.
- Comptes annuels erronés : Les gérants sont responsables des fausses déclarations dans les comptes annuels et les bilans.
- Violation des obligations de publicité : L'omission ou la publication incorrecte de rapports d'activité (PublG) peut entraîner des actions en responsabilité.
- Autres types de responsabilité des gérants d’une société de capitaux reconnus par la jurisprudence
Omission de prévention des risques ; omission de conclure des assurances nécessaires ; responsabilité en cas de fausses déclarations aux autorités ; violation des obligations lors d'opérations sur le capital ; responsabilité pour défaut de systèmes de conformité ; responsabilité en cas de fausses informations vis-à-vis des marchés de capitaux.
3 Responsabilité spécifique en cas d’insolvabilité de la société
En cas d’insolvabilité de la société, le dirigeant d’une société de capitaux en Allemagne peut voir sa responsabilité engagée à l’égard de la société, à l’égard des tiers créanciers de la société mais également sur le plan pénal sur le fondement du délit d’insolvabilité.
- Responsabilité pénale
Les dirigeants de sociétés de capitaux ne doivent pas se rendre coupable de manœuvres dilatoires dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité. Par conséquent, ces derniers doivent déclarer une insolvabilité (cessation de paiements ou surendettement/ Überschuldung) immédiatement, au plus tard trois semaines après la survenance de l'insolvabilité ou du surendettement (article 15a paragraphe 1 InsO). Les dirigeants s’exposent à une peine de prison ou une amende s’ils violent les obligations de l’article 15a paragraphe 1 InsO.
- Responsabilité civile à l’égard des tiers créanciers de la société
Le gérant est personnellement responsable dès qu'il dissimule l'état d'insolvabilité de la société lors de la conclusion de transactions. Il peut être tenu de verser des dommages et intérêts en vertu de l'article 826 du Code civil allemand (BGB) pour avoir causé un préjudice intentionnel au partenaire contractuel, s'il sait ou doit savoir que la GmbH n'est pas en mesure d'honorer les engagements pris ou que l'exécution du contrat est gravement compromise par le surendettement de la société en cas d'obligation de paiement anticipé du partenaire contractuel.
- Responsabilité du gérant à l’égard de la société
Si le gérant effectue des paiements après la survenance de l'insolvabilité de la société ou après la constatation du surendettement, il est responsable vis-à-vis de la société en vertu du § 64 paragraphe 2 GmbHG. La notion d'insolvabilité au § 64 paragraphe 2 GmbHG ne peut pas être comprise différemment de celle du § 17 InsO.
Conseils pratiques
Pour prouver que le gérant d’une société allemande a rempli ses obligations, il lui est conseillé de documenter ses décisions et les raisons qui l'ont amené à les prendre. En cas de décisions ayant une importance économique, il est conseillé au gérant de demander un conseil externe et, le cas échéant, de soumettre la situation à l'assemblée des associés pour décision. En effet, le gérant n'est pas responsable si ses actions reposent sur une décision des associés, dans la mesure où elles restent dans le cadre de ce qui est autorisé par la loi.
En ce qui concerne la responsabilité relative à l'obligation de verser les cotisations salariales à la sécurité sociale, le gérant devrait mettre de côté une réserve financière correspondante, il en est de même pour les obligations fiscales.
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Cet article a été rédigé par Dr. Christophe Kühl en collaboration avec notre élève avocat (Rechtsreferendarin) Noémie Boquet.
20.03.2024