M&A et RSE en droit allemand
Le succès des activités de fusions et acquisitions (M&A), en Allemagne comme ailleurs, est aujourd'hui plus que jamais lié aux questions de durabilité. La notion employée est celle de « facteurs ESG », de l’anglais « Environmental Social and Governance », qui renvoie aux pratiques environnementales, sociales et de gouvernance durable. Ce terme est très lié à celui de « RSE » (« Responsabilité sociale et économique » des entreprises) et les deux sont employés de manière de plus en plus interchangeable.
Il apparaît qu’une grande majorité des projets de croissance externe en Allemagne donnent déjà à présent lieu à une due diligence (audit) portant sur les facteurs ESG et, dans l’avenir proche, ce contrôle de certains facteurs ESG dans le cadre de telles opérations deviendra obligatoire pour de nombreuses entreprises. L’identification des risques ESG en amont d’une acquisition peut avoir d’importantes conséquences allant de la diminution de la plus-value de l’opération projetée, et donc du prix d'achat, à la qualification de ces risques comme "deal breaker". Mais l'influence des facteurs ESG ne s'arrête pas là et l'on constate un changement fondamental de mentalité dans le cadre de ces audits : alors qu’il s’agissait jusqu’à présent d’identifier les risques et d’en tenir compte dans la suite de la transaction, notamment lors de la rédaction des documents contractuels, les facteurs ESG sont désormais considérés comme le point de départ d'une augmentation stratégique de la valeur d’une cible. L'intégration des facteurs ESG dans l'organisation de l'entreprise n'a donc pas seulement un impact sur sa réputation et sur d’autres aspects immatériels, mais se traduit directement par une augmentation mesurable de la valeur de celle-ci.
Quel est le cadre juridique en matière d'ESG à prendre en compte dans les transactions de fusions et acquisitions (M&A) en Allemagne ? Quelles sont les tendances que l'on peut observer dans la pratique des M&A et quelles sont les conséquences concrètes pour les sociétés et leurs conseils ?
- Sources de droit allemand concernant les facteurs ESG
- L’audit ESG : Une liste polymorphe de facteurs ESG
- Les facteurs ESG comme source de performance et de génération de valeur
Au cours des dernières années, le cadre juridique en Allemagne se précise de plus en plus, tant par des réglementations européennes (comme le règlement UE 2020/852 du 18 juin 2020, sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables, dit règlement « Taxonomie ») (i) ou le règlement UE 2019/2088 du 27 novembre 2019 sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (ii), que par des lois allemandes qui sont venues transposer des directives européennes. Il s’agit notamment de la loi transposant la directive 2014/95/UE (CSR-Richtlinie-Umsetzungsgesetz), concernant la publication d’informations non financières (iii), ou la loi sur la chaîne d’approvisionnement (Lieferkettengesetz, « LkSG ») (iv), inspirée de la loi vigilance française.
- Le règlement Taxonomie établit un système de classification unique visant à distinguer avec plus de transparence les investissements dits « verts » des autres investissements. Les investissements verts sont notamment ceux prenant en compte les facteurs de développement durable (atténuation du changement climatique et préservation des ressources naturelles, etc.).
- Le règlement UE 2019/2088 a été adopté dans le but de réorienter les capitaux privés vers des investissements durables, pour mettre en œuvre, d’une part, les objectifs de l'UE et de ses Etats membres tels qu’ils ont été convenus par l’adoption de l’Agenda 2030 pour le développement durable, et, d’autre part, les objectifs des Nations Unies, et l'accord de Paris sur le changement climatique pour une économie et une société plus durables. Le règlement distingue les acteurs du marché financier (notamment les sociétés de gestion de capitaux) et les conseillers financiers (notamment les banques et les entreprises d'investissement). L'article 3 du règlement dispose par exemple que les acteurs du marché financier (paragraphe 1) et les conseillers financiers (paragraphe 2) sont soumis à une obligation de publier des informations sur leurs stratégies d'intégration des risques de durabilité dans leurs processus de décision d'investissement, ou dans leurs activités de conseil en investissement ou en assurance.
- La directive sur le reporting extra-financier a été transposée en droit allemand par une loi entrée en vigueur le 19 avril 2017 (« CSR-RUG »). En vertu de cette loi, les entreprises qui y sont visées sont tenues, dans le cadre de la déclaration non financière figurant dans leur rapport de gestion (§ 289b à 289e, 315b s. du Code de commerce allemand) ou dans un rapport séparé (§ 289b al. 3 Code de Commerce allemand), de fournir des informations qualitatives sur les questions environnementales, sociales et relatives aux salariés, sur le respect des droits de l'homme et sur la lutte contre la corruption.
- La loi allemande sur la chaîne d’approvisionnement (Lieferkettengesetz, « LkSG ») a été adoptée le 25 juin 2021 avec l'objectif d'améliorer le respect des droits de l'Homme le long des chaînes d'approvisionnement mondiales. Les obligations qu'elle prévoit seront imposées à partir du 1er janvier 2023 aux entreprises employant plus de 3 000 personnes et, à partir du 1er janvier 2024, ce seuil sera abaissé à 1 000 salariés. Dans les faits, il s'agira d'effectuer une analyse des risques liés au respect des droits de l’Homme et de l’environnement afin de mettre en œuvre un système de gestion de ces derniers, permettant d'identifier et de contrer les risques futurs. En outre, cette loi prévoit également l'obligation de mettre en place une procédure de plainte dans les entreprises afin de protéger la position des lanceurs d'alerte.
Si les transactions M&A impliquent des entreprises de l'ordre de grandeur susmentionné, un contrôle du respect de ces obligations sera de facto obligatoire, au plus tard à partir du 1er janvier 2023 concernant la loi allemande sur la chaîne d’approvisionnement.
Au-delà de l’arsenal législatif, les investisseurs doivent considérer largement les facteurs ESG concernés par l’activité de la société cible dans le cadre du projet d’acquisition de celle-ci.
Compte tenu de la concrétisation du cadre juridique, l'extension de l'examen des faits et chiffres clés d'une cible potentielle par des investisseurs stratégiques ou institutionnels aux aspects ESG devient de plus en plus pertinente. En effet, si les risques en matière de durabilité (les "red flags" ou même les "deal breaker") de la cible ne sont pas identifiés à temps, l'acquéreur risque de commettre des erreurs coûteuses lors de l'évaluation et de la fixation du prix, il encourt des risques juridiques et des dépenses ultérieures pour remédier aux irrégularités ainsi que des dommages à sa réputation.
Étant donné que facteurs ESG ne font pas l’objet d’une liste complète et globale, l’audit ESG ne se concrétise pas par une prestation standardisée. En effet, les facteurs pris en compte varient selon la société en cause, le lieu de son siège social, son objet social, ou encore son business plan.
Ainsi, une société de raffineries pétrolières ne considèrera pas les mêmes facteurs ESG qu’une société de transport de vélos électriques. Il s’agit donc d’une approche in concreto, faisant une analyse de la situation concrète de la société dans son ensemble et dans un contexte économique déterminé.
Quand il s’agit pour les investisseurs de sélectionner des cibles d'acquisition potentielles, l’audit ESG s’opèrera à un stade assez avancé de l’opération, car elle nécessite un accès aux données internes de la cible de la transaction. Ces données sont ensuite analysées à l'aide des codes de conduite ou des référentiels internationaux en vigueur, ainsi que des critères spécifiques à l'entreprise et au secteur.
Comme cela implique le recours à du personnel et à des experts spécialisés additionnels, il va de soi que la due diligence ESG dans le cadre d'une transaction d'entreprise entraîne une complexité et des coûts supplémentaires.
Un aspect capital des facteurs ESG pour les investissements que sont les M&A tient à l’évolution de la place de ces facteurs au sein du projet économique.
En effet, la prise en compte et la promotion des facteurs ESG peuvent avoir une influence déterminante sur l'attractivité d'une entreprise cible. Un investisseur peut par exemple se décider en faveur d’une entreprise conforme à ses critères ESG - au détriment d'autres entreprises cibles potentielles qui ne remplissent pas ces critères- afin d'exploiter les effets de synergie pour atteindre certains objectifs de durabilité au sein de son propre groupe.
L'analyse des risques liés aux facteurs ESG peut également être efficace pour éviter d'éventuelles conséquences préjudiciables liées à leur ignorance, telles que des pénalités - par exemple sur la base de la loi sur la chaîne d'approvisionnement -, des sanctions politiques, un boycott des consommateurs, ou encore un échec du business plan projeté.
Les observations actuelles montrent cependant, en Allemagne et dans d'autres États, que l'importance des facteurs ESG dans les transactions M&A va aujourd'hui bien au-delà de l'augmentation de l'attractivité d'une société cible et de l'éventuelle prise en compte de risques détectés pour réduire le prix d'achat et tend à accroitre de manière durable les bénéfices escomptés de l’opération.
On observe ainsi que les entreprises prenant en compte les critères ESG obtiennent souvent, par rapport au groupe de référence attachant moins d’importance au respect et à la promotion des facteurs ESG., des évaluations plus élevées concernant leur valeur.
L'influence des facteurs ESG sur la valeur de l'entreprise peut découler de la réduction du niveau des charges, mais aussi de l’augmentation du chiffre d'affaires :
- Les entreprises qui s'efforcent de réduire les émissions de CO2 de leurs activités peuvent également baisser leur consommation d'énergie et, par conséquent, leurs coûts, d’autant plus compte tenu du niveau actuellement élevé des prix. Par ailleurs, une société qui parvient à réduire son empreinte énergétique verra son imposition minorée. Les investissements nécessaires à cet effet peuvent être atténués par la possibilité d'obtenir des subventions de l'État.
- En ce qui concerne l’augmentation du chiffre d’affaires, celle-ci s’explique, dans les rapports B2C, par le fait que la clientèle est intéressée par les labels de durabilité appliqués par une société, qui sera amenée à vendre davantage par rapport à ses concurrents. Ceci procure aux sociétés bien positionnées dans le domaine de l'ESG l’obtention d’une position concurrentielle avantageuse, ce qui leur permet de conserver leurs clients existants et de gagner de nouveaux clients afin de générer des hausses de prix.
- Dans les rapports B2B, les partenaires commerciaux seront intéressés par une entreprise durable intégrant le respect de facteurs ESG dans leur chaîne de production.
La mise en œuvre de tels leviers de valeur apparaît dans le cadre d'une transaction M&A lors de la due diligence, car elle permet d'identifier si l'entreprise présente un potentiel sous l’angle des facteurs ESG pour les considérations stratégiques des acquéreurs potentiels, qui pourrait les amener à proposer un prix plus élevé pour la cible. Une due diligence effectuée par des professionnels qualifiés est donc impérative et ne doit pas être négligée.
Fusions & Acquisitions (M&A) en Allemagne
28.01.2022