Le privilège des associés minoritaires en procédure collective allemande
L’associé d’une société débitrice a longtemps été un personnage « boudé »1 par le droit français de l’insolvabilité avant l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives et la loi n°2015-990 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.
En effet, le droit français a été longtemps critiqué pour sa clémence envers les associés de la société débitrice au détriment des créanciers. Néanmoins les dernières réformes législatives entreprises tendent à la création d’un devoir de l’associé de soutenir financièrement une société en difficulté afin d’assurer la poursuite de son activité.
Le droit allemand quant à lui s’inspirait essentiellement de l’insolvabilité des personnes physiques et ne prévoyait guère d’interconnexions entre le droit des sociétés et le droit de l’insolvabilité, ce qui complexifiait la restructuration et pour cause la restructuration des sociétés se faisait parallèlement et hors procédure collective, sous l’égide du droit des sociétés peu flexible et donc peu adapté au contexte des procédures d’insolvabilité2. La loi ESUG (Gesetz zur Erleichterung der Sanierung von Unternehmen) en 2011 est venue remédier à cette lacune et prévoit un traitement de l’associé qui lui est peu favorable voire sacrificiel afin de permettre la restructuration. Les raisons ? L’associé doit in fine supporter le risque économique et financier qu’encourt la personne morale dans le cadre de l’exercice de son activité économique.
Cette obligation s’exprime notamment à travers le fait que l’associé selon le droit allemand de l’insolvabilité est relayé au rang des créanciers subordonnés de dernier rang (« nachrangige Insolvenzgläubiger »), soit au rang des créanciers « super-chirographaires » en application de l’article 39, paragraphe 1, point 5 du code de l’insolvabilité (ci-après, l’InsO). Cela implique que ces derniers ne seront désintéressés que si tous les autres créanciers ont été désintéressés à 100 % via la masse de l’insolvabilité.
Elle s’exprime également par le mécanisme des nullités de la période suspecte. Pour rappel, afin de reconstituer l’actif du débiteur insolvens, le droit allemand à l’instar du droit français confère à l’administrateur judiciaire le droit d’agir en annulation de certains actes réalisés par le débiteur, considérés comme entraînant sciemment son appauvrissement. Ces actes peuvent faire l’objet d’une annulation dans des délais qui différent en fonction de leur nature. Ainsi, contrairement au droit français, il n’existe pas une période suspecte uniforme mais des périodes suspectes.
Parmi ces actes, l’article 135, paragraphe 1, point 2 de l‘InsO, prévoit que peuvent être annulés les actes désintéressant une créance d’un associé en remboursement d’un prêt au sens de l’article 39, paragraphe 1, point 5 de l’InsO ou une créance assimilée, dès lors que le désintéressement a eu lieu au cours de l’année précédant ou suivant la demande d’ouverture de la procédure.
Focus sur le privilège des associés minoritaires
Par exception, il est prévu les remboursements en compte courant des associés, à condition de remplir certaines conditions, ne peuvent faire l’objet d’une annulation au titre du mécanisme des nullités de la période suspecte. Il s’agit du privilège des associés minoritaires, dit « Kleinbeteiligtenprivileg », prévu à l’article 39, paragraphe 5 du code de l’insolvabilité lu en combinaison avec l’article § 135, paragraphe 4.
Aux termes de cet article, l’associé non-gérant qui détient une participation maximale capitalistique de 10 % dans le capital dispose d’un privilège ès qualités d’associé minoritaire : les prêts d’associés ou les créances assimilées ne peuvent être annulés sur le fondement des nullités de la période suspecte.
L’arrêt du 20 avril 2023
Le BGH a rendu un arrêt en date du 20 avril 2023 (IX ZR 44/22), mettant en lumière l’articulation entre le mécanisme des nullités de la période suspecte et le bénéfice du privilège des associés minoritaires.
En l’espèce, une procédure a été ouverte le 1er juillet 2019 à l’encontre d’une société détenue à 90 % par un associé majoritaire et 10 % par un associé minoritaire depuis le 1 er janvier 2015. L’associé minoritaire a également été gérant de la société débitrice à compter de novembre 2014. Son mandat social a pris fin en décembre 2017. A la fin de son mandat social, il est resté associé. Au cours de cette période, les associés par décision d’une assemblée générale ont mis en réserve des bénéfices de l’année de 2016 ainsi que ceux des années précédentes. En 2018, a été décidée la distribution de dividendes d’un montant de 685.000 € au profit des associés en proportion de leur détention au capital. L’associé minoritaire s’est vu verser en juin 68 500 €.
C’est dans ce cadre que l’administrateur judiciaire sollicitait l’annulation de la distribution de dividendes au profit de l’associé minoritaire sur le fondement de l’article 135 InsO.
Si le Tribunal de première instance (Landgericht) a fait droit à la demande de l’administrateur, la Cour d’appel de Cologne (Oberlandsgericht) a quand elle débouté l’administrateur de sa demande, au motif que le privilège des associés minoritaires faisait en l’espèce échec à une annulation sur le fondement de l’article 135, paragraphe 1, point 2.
L’administrateur a par conséquent formé un pourvoi en cassation devant la Cour fédérale allemande (BGH).
Apport de l’arrêt
Le BGH confirme la position de la Cour d’Appel et rappelle les conditions d’application du privilège :
- Ce privilège s'applique en faveur des associés non-dirigeants.
- La participation doit être inférieure ou égale à 10 % du capital social de la société débitrice.
La Cour fédérale allemande a jugé – mettant ainsi fin au débat doctrinal – que dans le cadre de l’examen de la réunion de ces deux conditions, il convient de se référer exclusivement à la période de l’année précédant la demande d’ouverture de la procédure d’insolvabilité et non à la situation au moment de la décision des associés quant au report de bénéfices/distribution des dividendes. Autrement dit, ces conditions 1) et 2) doivent être remplies au cours de l’année précédant l’ouverture de la procédure collective.
Si ces deux conditions sont remplies, l’administrateur judiciaire ne pourra pas annuler le remboursement d’un compte-courant d’associé obtenu par l’associé (qui a toujours été / est entre temps devenu) minoritaire. Celui-ci sera protégé par son privilège.
Pour fonder sa décision, le BGH rappelle dans un premier temps que la logique adoptée a pour finalité première d’effacer les incertitudes et les insécurités juridiques que pouvait soulever la notion de prêt d’associé équivalent à un financement des capitaux propres. En effet jusqu’à la loi MoMiG,(Gesetz zur Modernisierung des GmbH-Rechts und zur Bekämpfung von Missbräuchen) les prêts d’associé pouvaient être qualifiés d’acte de financement des capitaux propres. Une telle qualification impliquait l’impossibilité que ledit prêt soit remboursé en période de crise. Si tel était le cas, alors ce remboursement pouvait faire l’objet d’une annulation par l’administrateur judiciaire.
Cette qualification s’est vue par la suite remplacée par un critère temporel : la période d’une année précédant la demande d’ouverture de procédure d’insolvabilité. C’est parce que ce remboursement effectué dans un laps de temps très proche de l’insolvabilité est suspect, qu’il peut être annulé. En revanche, le BGH rappelle dans un second temps que l’introduction d’un privilège pour les associés minoritaires est justifiée par le fait que contrairement à un autre associé, l’associé minoritaire n’a généralement aucune responsabilité dans la société, que ce dernier n’est pas aussi aguerri que les autres associés avec une détention capitalistique plus importante, et qu’il n’a pratiquement pas de moyens de contrôle sur la société. Par conséquent il n’a pas à supporter le risque économique et financier de cette dernière de la même manière qu’un associé majoritaire.
Comparaison avec le droit français
En droit français, contrairement au droit allemand, le remboursement de compte-courant intervenu en période suspecte, soit à compter de la date de cessation des paiements peut être annulé sur le fondement de l’article L.632-2, alinéa 1 du Code de commerce, dès lors qu’il est démontré que l’associé majoritaire ou minoritaire, dirigeant ou non, avait connaissance de la cessation des paiements. A ce sujet, la jurisprudence est plutôt souple. La connaissance de l'état de cessation des paiements ne saurait se présumer du seul fait de la qualité d’associé ou de dirigeant (Cass.Com., 6 mars 2019, n°17-17686). La Cour de cassation estime que la connaissance requise doit être effective et personnelle.
1 Cerati-Gauthier A., « L’associé dans la loi de sauvegarde des entreprises », RDS 2006, p.305.
2 Schuster, Gunnar, Zur Stellung der Anteilseigner in der Sanierung, ZGR 2010, 325-355.
29.11.2023