RSE Allemagne : Meilleure protection des lanceurs d’alerte
L’Allemagne se dote d’un nouveau système de signalement et de protection des lanceurs d'alerte (Hinweisgeberschutzgesetz, dite HinSchG). Les entreprises de plus de 250 salariés devront organiser un système de signalement interne. A compter de 2023, cette obligation sera étendue aux sociétés de plus de 50 salariés.
Contexte de la transposition
Mieux vaut tard que jamais : le ministère de la Justice allemand a publié, le 13 avril 2022, un nouveau projet de loi de transposition pour la mise en œuvre de la directive européenne sur les lanceurs d'alerte (directive européenne 2019/1937 du 23 octobre 2019). Les Etats membres disposaient d’un délai maximal de transposition de la directive 2019/1937 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union fixé au 17 décembre 2021. Du fait de désaccords politiques entre les ministères allemands liés à la coalition dite « grande coalition », le législateur allemand n’avait pas procédé à la transposition du texte en temps voulu, raison pour laquelle la Commission européenne a engagé en janvier 2022 des procédures d'infraction contre l'Allemagne et 26 autres États membres de l'UE, également en retard. Cette situation est en passe d’être réglée avec ce nouveau projet de loi.
Le projet a été transmis aux Länder et aux associations concernées et publié sur le site Internet du ministère de la Justice allemand. Les parties intéressées ont maintenant la possibilité de prendre position jusqu'au 11 mai 2022 et, compte tenu de la procédure d'infraction engagée par la Commission européenne, l’adoption de la loi devrait intervenir avant la fin de l'année 2022.
Champ d’application de la loi allemande sur la protection des lanceurs d’alerte
Le champ d’application personnel du projet de loi HinSchG est, conformément à la directive européenne, défini de manière large et concerne toute personne qui obtient des informations sur des infractions dans le cadre de son activité professionnelle et qui les divulgue au public. Outre les salariés et les fonctionnaires, il peut s'agir par exemple de travailleurs indépendants, d'actionnaires ou de personnel de fournisseurs.
Sur le plan du champ d’application matériel de la loi, outre les notifications d'infractions au droit de l'UE, les signalements de délits et d'infractions administratives réprimés par le droit allemand sont également visées par le texte, dans la mesure où elles servent à protéger l’intérêt public ou la vie, l'intégrité physique, la santé ou les droits des employés ou de leurs organes de représentation.
De ce fait, le champ d'application de la loi est plus large que celui de la directive qui ne visait que les infractions au droit de l’UE.
Régime des signalements internes et externes effectués par les lanceurs d’alerte
Pour dénoncer les violations du droit, les lanceurs d’alerte peuvent choisir librement de procéder par voie de signalement interne –c’est-à-dire au sein de l’entité concernée- ou de signalement externe –soit auprès de l’autorité publique compétente.
Les employeurs allemands de plus de 250 salariés doivent, dès l’entrée en vigueur de la loi, établir des procédures de signalement internes et définir des facilitateurs auxquels les salariés peuvent s’adresser pour leurs signalements. Le projet de loi prévoit que cette obligation sera étendue à partir du 17 décembre 2023 aux entreprises employant de plus de 50 salariés.
Plusieurs employeurs privés occupant habituellement entre 50 et 249 personnes ont la possibilité de créer un service commun pour la réception des signalements et pour d’autres mesures prévues par le projet de loi. Au sein d'un groupe, il sera possible de mettre en place un service centralisé pour les signalements internes auprès d'une des sociétés du groupe (par exemple la société mère du groupe). Pour les groupes de sociétés, cette possibilité n'est pas limitée aux entreprises du groupe employant en règle générale 249 personnes ou moins et ce bien que la Commission européenne ait exigé dans un avis que les filiales employant en général plus de 249 personnes disposent chacune de leur propre service.
Concernant les signalements externes, une structure centrale doit être mise en place auprès de l'Office fédéral de la justice (Bundesamt für Justiz (dit « BfJ »)). Les systèmes existants pour les signalements auprès de l’Office fédéral de surveillance des service financiers (Finanzdienstleistungsaufsicht) et de l’office fédéral des cartels (Bundeskartellamt) seront maintenus et dotées de compétences spéciales. De plus, au niveau fédéré, les Länder seront libres de mettre en place des services autonomes pour les signalements qui concernent l’administration au niveau du Land et les administrations communales.
Le signalement au public par le lanceur d'alerte n'est protégé, conformément aux dispositions de la directive, que dans des conditions strictes, par exemple en cas de risque de dommages irréversibles ou dans les cas où le service externe pour accueillir les signalements n'a pas pris les mesures nécessaires.
Si, contrairement à l'obligation susmentionnée, aucune structure de signalement interne n'est mise en place ou exploitée, le projet de loi introduit des sanctions sévères telles qu'une amende pouvant atteindre 20.000 euros.
Protection des lanceurs d’alerte
Même si la protection des lanceurs d’alerte peut être renforcée par leur anonymat lors des signalements, le projet de loi n'impose pas le traitement des signalements anonymes dans le cadre des procédures de signalement aux entreprises concernés et aux autorités compétentes. Il est donc d'autant plus important pour le bon fonctionnement du système de protection des lanceurs d'alerte que leur identité et celle de toutes les personnes concernées par un signalement soient protégées. Par conséquent, l’identité doit donc en principe n’être connue que des personnes chargées de traiter un signalement et ne doit être divulguée que dans des cas exceptionnels, par exemple dans le cadre de procédures pénales, à la demande des autorités de poursuite pénale.
De plus, la documentation en lien avec un signalement ne peut être conservée par le facilitateur que de manière limitée dans le temps et le nouveau projet de loi ordonne désormais la suppression des données au plus tard deux ans après la clôture de la procédure de signalement. Étant donné que l'article 17 du Règlement général sur la protection des données confère à la personne concernée un droit à l'effacement de ses données personnelles dès qu'elles ne sont plus nécessaires au regard de la finalité du traitement, la question de la compatibilité de ce délai de deux ans avec la législation en vigueur en matière de protection des données pourrait se poser à l’avenir.
Au-delà de ces points, d’autres protections du lanceur d’alerte sont introduites par le nouveau projet de loi : l'élément le plus important et le plus central est l'interdiction des représailles. Ce terme est entendu de manière large et vise tous les comportements à caractère punitif injustifiés tels que le licenciement, l'avertissement, le refus d'une promotion, la modification de l'attribution des tâches, les mesures disciplinaires, la discrimination, l'atteinte à la réputation ou le harcèlement moral. En cas de violation de l’interdiction de représailles, les lanceurs d’alerte doivent être indemnisés de leurs préjudices.
Corrélativement, la personne qui se rend coupable d’une fausse déclaration que ce soit de manière intentionnelle ou par négligence grave (grobe Fahrlässigkeit) doit rembourser le préjudice entraîné.
Le respect des règles sera également assuré par l'introduction de sanctions : En effet, les infractions aux principales dispositions du HinSchG pourront être sanctionnées par une amende administrative d’un montant allant jusque 100 000 euros. Cette lourde sanction s'applique par exemple à l'entrave au signalement ou en cas de de représailles envers le lanceur d’alerte. Le lanceur d’alerte qui divulgue sciemment une information inexacte commet également une infraction et est passible d'une amende pouvant aller jusqu'à 20.000 euros.
Conseil pratiques :
- Les entreprises allemandes concernées doivent se préparer au respect de l'obligation de mise en place de systèmes de signalement internes avant la fin de l'année 2022.
- Les entreprises qui disposent déjà d'une procédure de signalement interne ont tout intérêt à la structurer et à la documenter de manière à ce qu'elle soit conforme aux nouvelles dispositions.