Les « actes passés avec soi-même » (Insichgeschäft) en Allemagne et en France
En Allemagne
En droit allemand, l’interdiction de « passer un acte avec soi-même (« Insichgeschäft »[1]) est ancrée dans le BGB (Bürgerliches Gesetzbuch = Code civil allemand) au § 181. En vertu de cette disposition, un représentant n'est en principe pas autorisé à conclure des actes juridiques avec lui-même, en son propre nom (contracter avec soi-même) ou en tant que représentant d'un tiers (représentation multiple).
Cette interdiction s'applique également aux représentants légaux, de sorte que le gérant d'une GmbH (société à responsabilité limitée de droit allemand), notamment, est soumis à cette interdiction. Elle s'étend à tous les actes juridiques, c'est-à-dire aussi bien aux contrats qu'en principe aux actes juridiques unilatéraux.
La conséquence juridique de la violation du § 181 BGB est que l'acte de représentation est suspendu et sans effet. Il peut toutefois être approuvé ultérieurement par la personne représentée.
Cette interdiction peut s’avérer particulièrement pertinente lorsque le représentant légal de l'associé d'une GmbH se nomme gérant ou conclut des contrats au nom de plusieurs sociétés du groupe.
Il est possible, et souvent judicieux dans la pratique, de libérer le gérant des restrictions posées par le § 181 BGB. Il convient ainsi de faire figurer dans les statuts une clause autorisant l'assemblée générale à libérer les gérants des restrictions du § 181 BGB. Cette dérogation au § 181 BGB, habituellement accordée dans le cadre de la nomination du gérant, est publiée au Registre du Commerce.
En France
En droit français, il n'existe pas de disposition légale comparable au § 181 du BGB applicable à une SAS ou à une SARL.
Le représentant légal d'une SAS ou d'une SARL représente la société à l’égard des tiers. Cette disposition est impérative ; les statuts ne peuvent pas retirer la qualité de représentant légal de la société, qui constitue un élément de sécurité juridique pour les tiers qui traitent avec la société. Le représentant légal est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de la société en toutes circonstances, selon la forme de la société et dans les limites de son objet social, sous réserve des cas devant faire l’objet d'une décision collective.
Le droit français prévoit des règles spécifiques pour la conclusion de conventions entre la société et ses dirigeants ou associés (« conventions réglementées »). Les articles L. 227-10 (SAS) et L. 223-19 (SARL) du Code de commerce disposent qu’un rapport du commissaire aux comptes doit être présenté aux associés d'une SAS/SARL lors de l'approbation des comptes annuels, notamment sur les conventions intervenues au cours de l'exercice entre la société et (directement ou par personne interposée) son président ou son gérant. Ceci ne s'applique pas aux conventions se rapportant à des affaires courantes et conclues à des conditions normales. Les associés statuent sur ce rapport, étant entendu qu'un refus d'approbation de la convention en question n'entraîne pas la nullité de celle-ci. Au contraire, en cas de refus, le représentant légal risque de devoir payer des dommages et intérêts.
Des dispositions particulières s’appliquent aux SAS unipersonnelles, ces conventions étant simplement inscrites dans le registre des décisions de la société, conformément à l’art. L. 227-10 IV du Code de commerce. Il n'est donc pas nécessaire d'établir un rapport distinct ni de suivre une procédure d'approbation. Il en va de même pour une SARL unipersonnelle si l'associé est également gérant de la SARL.
Recommandation pratique
Les dispositions légales relatives aux actes passés avec soi-même (« Insichgeschäfte ») diffèrent considérablement entre la France et l'Allemagne. Il est recommandé aux entreprises actives ou réalisant des opérations dans les deux pays de tenir compte des conseils pratiques suivants :
En Allemagne
- Rédaction des satatuts : lors de la création de la société ou de la modification des statuts, il convient de tenir compte de la possibilité de dérogation au § 181 BGB pour les gérants. Cela permet une gestion plus flexible, sans les restrictions de l'interdiction d'actes passés avec soi-même.
- Surveillance et autorisation : Les entreprises devraient mettre en place des mécanismes internes permettant de surveiller les transactions internes (avec soi-même) potentielles. Une communication transparente et la possibilité d'une approbation ultérieure par la personne représentée sont importantes à cet égard.
En France
- Pouvoirs du représentant légal : étant donné qu'il n'existe pas en France de réglementation spécifique telle que le § 181 du BGB, les entreprises devraient définir clairement les pouvoirs de leur représentant légal dans les statuts ou le règlement intérieur, selon leur forme juridique. Ceci permet de clarifier les pouvoirs d'action et leurs limites.
- Conventions avec les dirigeants/associés : Veuillez tenir compte de la réglementation française sur les « conventions réglementées ». Les transactions commerciales entre la société et les dirigeants/associés doivent être transparentes et sont soumises à certaines obligations telles que la présentation d’un rapport sur celles-ci et leur approbation.
[1] Note du traducteur : Opération au cours de laquelle la même personne est à la fois partie et partie adverse, agissant avec des qualités différentes.